Sous l’impulsion de Florence Nègre, le Séminaire interne de Toulouse a invité cette année trois AE en exercice. Si le matin c’est au sein de l’ACF-MP que les AE interviennent, l’après-midi, c’est au cœur de la cité et lors de conférences ouvertes au public que les AE transmettent le sel d’une analyse, l’événement du symptôme, la singularité absolue d’un parlêtre. Eduardo Scarone nous donne ici un écho de la venue de Michèle Elbaz à Toulouse le 7 mars dernier.
Michèle Elbaz est psychanalyste à Bordeaux. Membre de l’ECF et de l’AMP et elle a été nommée AE[1] en septembre 2013. Le samedi 7 mars, elle a prononcé une conférence à Toulouse sous le titre « L’issu(e) de l’analyse », titre intimement lié à sa trajectoire et à son expérience de la psychanalyse. Il annonce ainsi qu’il s’agit d’aborder la question de la fin de l’analyse, du moment de passe et de sa démonstration qui a conduit à sa nomination comme AE. M. Elbaz précise que l’écriture de son titre indique qu’il n’y a pas de fin sans extraction et distingue l’expérience de l’analyse de l’expérience de la passe. Entre les deux, il s’agit plutôt de disjonction que de continuité, puisque la passe surgit d’une manière contingente, liée à la hâte. Elle constitue toujours une surprise, se détachant de la logique de la cure faite d’automaton et de tuché.
« Issu » est le participe passé de l’ancien français issire, dérivé du verbe latin exire, sortir. De cette forme grammaticale, le français ne conserve qu’un usage dans l’expression « être issu de » qui veut dire « résultant de », « né de », où M. Elbaz situe cette extraction qui permet alors l’issue. Dans le titre, ce mot marque qu’il ne s’agit pas ici d’un arrêt de la cure qui serait simplement suffisamment satisfaisant, mais qu’il peut y avoir une fin conclusive. Toutes les fins peuvent être heureuses, précisait M. Elbaz citant Jacques-Alain Miller, étant donné qu’elles impliquent un consentement à l’impossible. Mais la passe produit l’analyste et celui-ci continue à être analysant, sans l’analyste. La cure peut livrer sa logique à partir de ce qui détermine sa conclusion, et, comme le dit M. Elbaz, « l’analyse est surprise par sa fin. Pas moins l’analyste et l’analysant ».
Les circonstances de sa naissance et une sentence du médecin accoucheur[2] avaient mis fortement en question l’issue côté vie du nouveau-né. D’autres péripéties l’ont maintenue sur ce seuil. Le développement de l’analyse permettra de déchiffrer et de réduire la charge dramatique de souffrance, et d’autoriser une fin plus allégée : la sortie par un Witz, qui se présentera comme un signifiant nouveau, hors de la série des signifiants précédents. M. Elbaz se surprendra elle-même en prononçant dans l’analyse le mot : « pas achevée » qui renvoie à son entrée dans la vie et rend compte aussi du trajet de celle-ci comme un résultat qui dissipe la charge d’angoisse. Ce trajet s’est déplié à partir d’un désir, connecté à la première audace de se maintenir en vie, choix forcé qu’il faut situer au niveau du réel, « à la racine dénudée du refoulement », précise-t-elle. Ce désir a été mené jusqu’à son terme, épuisant le sens, jusqu’à trouver la percussion initiale des mots et du corps. Un désir pas sans risque qui permit de forcer les identifications, les images. De cette manière elle put rencontrer la lettre d’une différence absolue, ce que vise la psychanalyse. Ce « pas achevée » se présente ainsi comme un des noms du pas-tout, caractérisant et bordant une jouissance féminine. Ce qui n’est plus un message à déchiffrer, mais une conclusion à partir de laquelle on pourra déterminer la logique de ce qui a été traversé.
Une extraction est ici nécessaire pour passer de la singularité de la succession des signifiants qui ont chiffré l’histoire subjective à l’obtention du sans pareil de la fin de l’analyse : un signifiant tout seul, sans réponse, univoque. L’instant de la passe rend compte de l’exil du sujet par de multiples déplacements qui se sont produits la vie durant et pendant l’analyse, et qui ont été déclinés de diverses façons. L’extraction marque le détachement obtenu par rapport à la pulsion de mort et autorise ainsi, aussi bien la sortie de l’analyse, que son résultat : un analyste comme produit de l’analyse soutenu du sans pareil qu’il a atteint. Surgit alors un nouveau commencement et un savoir nouveau qui sera à inventer dans l’outrepasse.
[1] La nomination d’AE s’accompagne d’une mission : cet AE doit travailler pendant trois ans. La conférence de M. Elbaz s’inscrit dans ce cadre.
[2] « Ne vous attachez pas à elle, elle ne va pas probablement rester en vie » intervention de M. Elbaz, après-midi des AE, Bordeaux, septembre 2014, in Tresses, hors-série p. 20.