Ce texte est un extrait de l’intervention de Maria Novaes à « Question d’École », le 1er février 2020.
Du « transfert de travail »[1] ou ce qui fait « qu’on s’y mette »[2]. Cette formulation à propos du cartel rejoint ce que Lacan a appelé « l’induction »[3] ou, selon les mots qu’emploie Jacques-Alain Miller, ce qui fait « qu’on s’y mette », dans son cours « Le banquet des analystes » pour évoquer le « transfert de travail »[4], en lien avec la spécificité de la transmission en psychanalyse.
Cette thèse du transfert de travail, nous pouvons l’évoquer dans l’expérience du cartel, où l’analyste y est en tant que travailleur, en tant qu’analysant et non en tant qu’analyste. C’est également le fonctionnement qu’indique J.-A. Miller dans son intervention autour du cartel et de l’élaboration provoquée [5]. Dans son cours « Le banquet des analystes » il évoque aussi la spécificité de la transmission de la psychanalyse comme un enseignement qui ne se propose pas comme un savoir clos et dogmatique, ou une transmission d’un contenu « pour tous », mais plutôt comme ce qui fait place au travail et qui est de l’ordre d’une transmission de l’un à l’un.
« Apprendre la psychanalyse c’est l’enseigner » : du savoir supposé au savoir exposé
L’autre conséquence de ce type de transmission consiste à un passage du savoir supposé au savoir exposé. Car l’induction de travail, en consonance avec l’idée de l’élaboration provoquée, conduit par ailleurs à la désupposition de savoir [6]. En effet, comme l’a aussi indiqué J.-A. Miller dans son intervention sur le cartel de 1986, l’objet étant à sa juste place, cela implique que le plus-un ne s’approprie pas l’effet d’attrait, c’est-à-dire qu’il doit le référer ailleurs [7]. Il est attendu qu’il soit celui qui prend à sa charge la division subjective, qu’il insère dans le cartel l’effet de sujet, et cela permet que chaque membre du cartel puisse produire un savoir.
Autrement dit, le savoir n’est pas supposé à l’Autre ; c’est un travail qui ouvre la voie, pour chaque membre, vers la production ce que Virginie Leblanc a formulé comme « un travail à l’image de la façon dont l’être parlant, d’abord transpercé par le langage, peut grâce à l’analyse comme au cartel risquer son énonciation propre, serrer un bout de savoir, lever le voile sur un coin qui l’anime »[8]. Une prise de parole inédite peut ainsi avoir lieu. En un éclair, ce savoir « par bribes » de l’énonciation trouve sa justesse, en tant que l’adresse, le corps et la voix sont aussi de la partie.
J’isole comme un de ces temps forts de ce cartel, autour du Séminaire Encore, la résonnance d’une phrase : « Quant à l’analyse, si elle se pose d’une présomption, c’est bien de celle-ci, qu’il puisse se constituer de son expérience un savoir sur la vérité. »[9] Parlant de cette phrase en cartel, j’ai entendu des échos de la cure sur le travail de cartel, qui est aussi un effort de bien dire autour du réel, témoignant de ce décalage entre savoir et vérité. Cette fulgurance s’est produite en cartel et non lors de la lecture solitaire chez moi. Lire, pas sans le dire, devient une issue. C’est en cela que peut résider la puissance de la parole.
C’est ce que j’entends de ce « passage du savoir supposé au savoir exposé »[10] évoqué dans « Le banquet des analystes », comme étant quelque chose de propre à ce qu’enseigne la psychanalyse : « L’idée de Lacan, c’est qu’on devient analyste pour apprendre à parler, pour apprendre à bien dire, et que ce bien-dire n’a pas forcément une vocation […] à être confiné dans le cabinet de l’analyste, mais qu’il peut s’exposer. »[11] Ce que J.-A. Miller évoque comme un des aspects du renversement lacanien : « apprendre la psychanalyse c’est l’enseigner »[12], indiquant que c’est à l’œuvre à la fin d’une cure. On pourrait y voir aussi une étincelle dans le travail de cartel. En tous cas, cela dit quelque chose de ma plus récente expérience de cartel, venant éclairer en quoi la parole a un impact sur le savoir produit en cartel – « un savoir sur la vérité » – rendant en même temps possible un autre rapport au savoir.
[1] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 236.
[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 31 janvier 1990, inédit.
[3] Lacan J., « Acte de fondation », op. cit., p. 230.
[4] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op. cit., leçon du 24 janvier 1990, publiée sous le titre de « L’École, le transfert et le travail », La Cause du désir, n°99, juin 2018, p. 147.
[5] Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de “l’élaboration provoquée” », intervention lors de la soirée des cartels à l’École de la Cause freudienne, 11 décembre 1986, disponible sur le site de l’ECF : causefreudienne.net
[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op. cit., leçon du 31 janvier 1990.
[7] Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de “l’élaboration provoquée” », op. cit.
[8] Leblanc V., « Le cartel, encore ! », Cartello, n°20, mai 2018, publication en ligne (http://ecf-cartello.fr).
[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 84.
[10] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op. cit., leçon du 31 janvier 1990.
[11] Ibid., leçon du 7 février 1990.
[12] Ibid.