Les pratiques en institution exposent la psychanalyse à deux dangers majeurs : l’effet de groupe et la psychothérapie. C’est à ces deux dangers que tentent de répondre la pratique à plusieurs comme celle des CPCT, ainsi qu’en témoignaient les Journées de l’ECF, en 2002, qui avaient pour thème : « La psychanalyse appliquée et la pratique en institution » [1].
Vingt ans déjà ! Peut-être serait-il temps de faire un nouveau point ?
Déjà, en 1991-1992, l’ECF avait pris des distances par rapport à la question des institutions. Un séminaire de psychanalyse avec les enfants, rue Huysmans, sur le thème « Psychanalyse et Institution » avait remis la question des institutions à l’ordre du jour, en l’abordant, dix ans après, sous un autre aspect, loin de l’idéal qui avait caractérisé l’époque passée.
Cela a conduit au réseau inter-institutions dont Jacques-Alain Miller accueillait l’initiative dans le Champ freudien et lui donnait le nom de RI3 [2].
Celui-ci a pris pour orientation le texte d’É. Laurent : « Institution du fantasme, fantasmes de l’institution » [3]. Les institutions du RI3 ont été vigilantes à œuvrer avec les antidotes que sont la pratique au « un par un » – qui n’est pas une simple modalité de comptage, mais une clinique ironique –, associée à la pratique du contrôle.
La publication du Séminaire de Lacan La Logique du fantasme est, pour nous, l’occasion d’un retour aux débuts, avec le cours de J.-A. Miller : « Du symptôme au fantasme et retour ».
Comme il y a une clinique relative à l’Autre, qui est une clinique du sujet qui a sa fin dans la traversée du fantasme, il y a une clinique de l’Autre qui n’existe pas. Elle relève davantage d’une clinique du parlêtre et du corps parlant comme Autre.
Ces deux cliniques, loin de s’opposer, sont unies moebiennement. Ainsi Lacan pouvait-il dire qu’« il faut […] soulever la question de savoir si la psychanalyse […] ça n’est pas un “autisme à deux”. Il y a […] une chose qui permet de forcer cet autisme, c’est que […] la lalangue est une affaire commune » [4], ajoutait-il. La position de l’analyste comme corps parlant est isomorphe à la psychanalyse comme autisme à deux.
J.-A. Miller pouvait dire que la psychanalyse appliquée était en mesure de venir en aide à la psychanalyse pure par le fait de substituer un savoir-faire à un savoir. Aujourd’hui, l’ECF multiplie ses efforts pour lutter contre une dégradation de l’Autre du savoir, pour un Autre qui serait à la hauteur des pratiques que la psychanalyse oriente, et qui ne serait pas seulement le simple lien social S1-S2, mais l’impossible à écrire, le lien social auquel l’analyste a le devoir de s’affronter.
Cela conduit à considérer l’institution comme TROU à partir duquel inventer l’Autre.
Les institutions qui s’orientent de la psychanalyse sont celles qui distinguent le lien social et la jouissance dans l’accueil et le traitement des cas, et qui font valoir la clinique de la jouissance propre au temps de lalangue.
Peut-être le temps est-il venu de faire le saut jusqu’au Séminaire XXIII, de l’institution du fantasme avec le RI3, à l’institution comme TROU dont la FIPA trace l’avancée encore timide ?
À distance du sens, la psychanalyse appliquée est à considérer au « un par un », centrée sur le réel de la psychanalyse : « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Il s’agit d’un réel, non pas en opposition, mais différent de celui de la science.
La position ironique de la découverte freudienne de l’inconscient, en tant qu’elle ne connait ni le temps ni la contradiction, lui impose de devoir se positionner par rapport à la science et à la religion.
Ceci devrait nous permettre de mettre à l’étude cette phrase de J.-A. Miller au cours de l’échange avec F. Leguil dans le dernier numéro de La Cause du désir : « (…) ce n’est pas que j’ignore la réticence, mais ce n’est pas du tout une boussole. Je prends plutôt la chose par la surface » [5].
Jean-Robert Rabanel
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[1] Cf. Pertinences de la psychanalyse appliquée. Travaux de l’École de la Cause freudienne réunis par l’association du Champ freudien, Paris, Seuil, 2003, où sont repris une partie des travaux présentés lors des 31e Journées de l’école de la Cause freudienne.
[2] Réseau International des Institutions Infantiles du Champ freudien.
[3] Cf. Laurent É., « Institution du fantasme, fantasmes de l’institution », Feuillets du Courtil, n° 4, avril 1992, consultable à http://courtil.be/feuillets/PDF/Laurent-f4.pdf
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 19 avril 1977, inédit.
[5] Miller J.-A. & alii, « Discussion à la suite du texte de François Leguil », La Cause du désir, n° 114, juin 2023, p. 141.