Au-delà des courants philosophiques qui ne désignaient le mental que par ce qui est conscient et au-delà des recherches médicales qui ne reconnaissaient que ce qui est anatomique ou biologique, Freud découvre l’inconscient et donne naissance à la psychanalyse pour en traiter ses effets délétères. Mais cette découverte l’isole aussitôt et, tout au long de sa recherche, Freud aura à faire face à des opposants et des détracteurs venant de l’ordre social ou de la science. Depuis, la psychanalyse est régulièrement discréditée, voire attaquée, comme dans les premières décennies des années 2000 [1] , où les critiques trouvaient écho dans le monde politique ; sur ce point, pas de changement, mais de la répétition. Qu’est-ce qui a changé ? Qu’y a-t-il de nouveau dans les discours ? Les prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne vont mettre ces questions à l’étude.
Freud parlait d’une période « matérialiste » qui ne nous paraît pas si éloignée de la médecine actuelle. Voici ce qu’il en écrivait dans son texte « Résistances à la psychanalyse » : « Au cours de cette période de matérialisme, ou mieux de mécanisme, la médecine a accompli des progrès fabuleux, mais elle n’a pas laissé de témoigner de son étroitesse, en méconnaissant le plus important et le plus difficile des problèmes de la vie. » [2]
Plus d’une centaine d’années après la découverte freudienne, à la question : « Que se passe-t-il pour un sujet ? », les « psy » eux-mêmes peuvent glisser sur la pente du déni d’une causalité psychique. Il y a peu de temps, une adolescente me disait que la première psychologue qu’elle avait rencontrée lui avait fait faire des examens médicaux, pensant que ses angoisses étaient liées à un trouble hormonal. L’inconscient ne se laisse pas saisir facilement ; aujourd’hui, avec les enseignements de Lacan et de Jacques-Alain Miller, on parle même de « l’inconscient réel […] qui ne se laisse pas interpréter » [3]. Le déni (Verleugnung) en tant que mécanisme de défense est passé dans le vocabulaire courant avec une référence explicite à la psychanalyse. Freud lui-même pour déchiffrer l’inconscient n’a cessé d’en passer par le sien.
Après Freud, c’est Lacan qui en 1953, dans son Discours de Rome, pose les bases de son enseignement, mettant en garde les psychanalystes, notamment les tenants de l’ego-psychology, contre des élaborations sur l’inconscient éloignées de l’inconscient freudien. « C’est donc à la distance nécessaire à soutenir une pareille position qu’on peut attribuer l’éclipse dans la psychanalyse, des termes les plus vivants de son expérience, l’inconscient, la sexualité, dont il semble que bientôt la mention même doive s’effacer. » [4]
J.-A. Miller a mis en évidence des penchants scientistes dans certains courants de la psychanalyse contemporaine [5].
La psychanalyse lutte encore et toujours contre le déni de l’inconscient, comme en témoignent les actions de l’École de la Cause freudienne.
À la question « Que m’arrive-t-il ? », le sujet peut rapidement trouver des réponses toutes faites propres à éviter l’angoisse. Exit les dimensions du temps et du vide, de la non-réponse, du fait de ne pas savoir, de chercher… chercher jusqu’à rencontrer une dimension fondamentale de la découverte freudienne, celle de la responsabilité inconsciente que seule l’expérience analytique permet d’approcher. Un point où le sujet se saisit de façon inattendue, inattendue tant pour lui-même que pour l’analyste, car, à la différence du psychothérapeute, l’analyste n’applique pas un savoir au patient. « Victime », « garçon », « timide », etc., pour certains, ces réponses, construites en analyse par un nouage entre imaginaire et savoir inconscient, permettent une « nomination » du réel en jeu. Mais dans les cas où la réponse est de l’autre et fait identification et non pas nomination d’un réel, combien de temps tiendra-t-elle contre le « trouble » du « Que m’arrive-t-il ? » ?
Isabelle Magne
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[1] Miller J.-A., « Lettre à Bernard Accoyer et à l’opinion éclairée », Ornicar ?, n°51, janvier 2004, p. 381-403.
[2] Freud S., « Résistances à la psychanalyse », Résultats, idées, problèmes, tome II, Paris, PUF, p. 128.
[3] Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », La Cause du désir, n°87, juin 2014, p. 77.
[4] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 246.
[5] Cf. Miller J.-A., « Du neurone au nœud », Mental, n°25, mars 2011, p. 69-82.