Il paraît que revenir sans cesse aux textes de Freud serait devenu un pêché. Revenons-y donc.
Il est précieux de constater que dès L’Interprétation du rêve – livre canonique quant à l’inconscient et son interprétation en psychanalyse – Freud nous met en garde contre ledit inconscient. Le rêve, comme formation de l’inconscient, en est certes la « voie royale », mais c’est aussitôt pour indiquer que ce rêve est un « escroc »[1]. L’inconscient trompe. C’est même, dans ses formations, sa finalité : déformer un désir réprimé, censuré, pour le rendre méconnaissable, de façon à ce qu’il puisse trouver à se dire, mais déguisé, trompant ainsi tout en la satisfaisant la censure du Moi et de ses idéaux quant à ce désir non assumé et « sacrifié au refoulement »[2].
L’inconscient est donc au service d’un n’en-rien-vouloir-savoir, tout affairé à rendre soft un réel d’une satisfaction autre qui ne cesse de venir frapper, encore et encore, à la porte. C’est ce qui permet à Freud de dire que le rêve, comme paradigme des formations de l’inconscient, est au service d’un désir de dormir. D’où encore cette remarque qu’il n’existe pas de rêves anodins, et que ceux que l’analysant présente ainsi, ou qui lui apparaissent comme tels, sont en fait les plus « coriaces » et les plus « malins » dans leur déguisement. Nous nous permettons de passer un peu vite dans ce bref texte sur la distinction, fondamentale, entre désir et jouissance. Mais fort de le savoir, nous nous le permettons.
Quels sont les moyens dont use l’inconscient à ces fins ? Freud est clair : l’association, la connexion « déplacée » et « aléatoire » – entendons contingente, « nécessaire » mais « aléatoire »[3] – entre un désir, que l’on peut maintenant traduire par une satisfaction, et un signifiant, une représentation qui n’y est attachée que, et par, sa consonance sémantique et langagière. Voilà comment une satisfaction, une pulsion, trouve à se satisfaire par déplacement et déformation via une signification détournée.
Nous retrouvons donc, dès le premier Freud, cette connexion entre une dimension signifiante et une dimension pulsionnelle, deux dimensions nouées et pourtant hétérogènes. La dimension signifiante trompe, bien qu’elle puisse conduire à la vérité – ce qui fait, autre remarque de Freud, qu’une interprétation peut en cacher une autre, et qu’un désir interprété peut conduire à un désir autre encore. Fuite du sens. La dimension pulsionnelle, elle, insiste. Elle use de la dimension « plurivoque »[4] du sens pour poursuivre son but inlassable et insatiable – se satisfaire. Sans doute se dégage-t-il ici à la fois une orientation de la cure et deux modalités d’action distinctes.
L’orientation : par la puissance de la parole, défaire, diffracter, désolidifier cette connexion entre le signifiant et la dimension pulsionnelle. Les modalités d’action, à suivre les indications de Jacques-Alain Miller reprises dans l’argument de notre prochaine journée « Question d’École » : interpréter la dimension signifiante, avec sa dimension de « vérité menteuse »[5], et « cerner »[6], « isoler »[7] et « constater »[8] la satisfaction pulsionnelle qui s’y est attachée et qui, elle, ne s’altère pas. Isoler les choses ici théoriquement conduit à la nécessité pour une école de psychanalyse de devoir essayer de les comprendre et les travailler. C’est ce que devrait permettre notre prochaine journée.
Peut-être y trouverons-nous témoignage, dans des cures menées à leur terme, que ces deux champs hétérogènes peuvent trouver à être touchés, dans une dimension biface, par une même opération « interprétative ».
[1] Freud S., L’Interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010, p. 284.
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 217.
[4] Ibid., p. 259.
[5] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.
[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 11 mai 2011, inédit.
[7] Ibid., cours du 4 mai 2011.
[8] Ibid., cours du 11 mai 2011.