Freud l’avait énoncé on ne peut plus clairement en son époque, l’inconscient ne connaît pas le temps : « Les processus du système Ics sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps »[1]. Et Freud d’inviter l’analyste à ne pas tenir compte du temps, à « se comporter tout aussi hors le temps que l’inconscient lui-même s’il veut apprendre ou obtenir quoi que ce soit »[2].
Pour autant, la psychanalyse n’a jamais prétendu ne pas avoir à s’occuper du temps. Le dire, ce n’est pas simplement rappeler avec Lacan que celui qui entend faire œuvre de psychanalyse devra bien connaître « la spire où son époque l’entraîne »[3]. Il s’agit en effet surtout de rappeler que l’expérience analytique a partie liée avec le temps. La séance, n’en déplaise à ceux qui voudraient en maîtriser la durée, est avant tout « une manœuvre essentielle avec le temps »[4].
En effet, la séance met en scène un autre temps que le temps diachronique, linéaire. Le temps de la réversion temporelle – qui va du futur vers le passé, qui soutient l’illusion du « c’était écrit », ce que Lacan a nommé le sujet supposé savoir – y est à l’œuvre. Aussi la séance analytique ne saurait se mesurer en minutes, comme une quantité. Elle est, au contraire, « un laps de temps tout à fait spécial où le sujet est amené à faire l’expérience pure de la réversion temporelle (…), où il s’agit qu’un rapport s’établisse avec la dimension hors temps de l’inconscient, cette dimension où, selon la définition de Freud, le passé n’existe pas, où l’on ne retrouve aucun des trois modes du temps – le passé, le présent, le futur –, cette dimension où, dans les termes de Freud, la catégorie même du temps ne s’applique pas »[5].
Alors qu’il enjoignait ses collègues à ne pas tenir compte du temps, Freud ne s’interdisait donc pas – une fois le transfert installé – de manœuvrer avec le temps. Il en témoigne dans le récit qu’il fit de la cure de l’homme aux loups : « je fus obligé d’attendre que son attachement pour moi fût devenu assez fort (…) et (…) je décidai (…) que le traitement devrait être terminé à une certaine date, quelque avancé qu’il fût ou non alors »[6].
En conséquence, on ne saurait taxer les cures dont le terme est fixé à l’avance de poursuivre une ambition thérapeutique « à courte vue ». Les praticiens qui opèrent dans les CPCT savent fort bien que, si le temps y est compté, il s’agit toujours de saisir dans la séance – « lieu prévu pour que s’y produise l’imprévisible »[7] – les manifestations de l’inconscient, d’attraper la temporalité de celui-ci, qui est celle de l’éclair. Car l’inconscient « se manifeste toujours comme ce qui vacille dans une coupure du sujet »[8].
Comment l’analyste emploie-t-il donc le temps compté au CPCT ? Les cas de cette journée témoigneront, par delà les effets thérapeutiques, des effets psychanalytiques obtenus dans les CPCT.
[1] Freud S., « L’inconscient », Métapsychologie, Paris, Editions Gallimard, 1968, p. 96.
[2] Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups) », Cinq psychanalyses, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 328.
[3] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Ecrits, Paris, Seuil, 1996, p. 321.
[4] Miller J.-A., « L’Erotique du temps », La Cause Freudienne, Paris, Seuil, n°56, p. 71.
[5] Ibid., p. 76.
[6] Freud S., « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups) », op. cit.
[7] Miller J.-A., « La nouvelle alliance conceptuelle de l’inconscient et du temps chez Lacan », La Cause Freudienne, Paris, Seuil, n°45, p. 6.
[8] Ibid.