Le modèle inclusif s’inscrit dans un contexte de bouleversements du lien social qui n’est plus cimenté par les seuls idéaux traditionnels. Considérant que c’est à la norme commune de s’adapter au sujet, l’intention inclusive s’est alors imposée en réponse au déracinement des sujets esseulés. Aujourd’hui, nous assistons à l’exacerbation de l’isolement de ces derniers avec leur jouissance, sans le secours de l’Autre pour s’orienter. Les normes plurielles se sont ainsi substituées à l’universel de la loi symbolique héritière de la fonction paternelle comme instance qui régule, fait limite et ordonne les jouissances.
Cherchant ainsi à localiser les différentes modalités de jouissance par les communautés — chacune revendiquant sa norme —, la volonté inclusive ne parvient pas toujours à faire lien social en raison de l’impossible collectivisation des jouissances. L’inclusion rate dans son intention à faire totalité malgré un idéal d’égalité pour tous qui vise à recouvrir la perte originelle du sujet barré. Par conséquent, cherchant à abolir l’exception et la perte, la logique inclusive produit « une série en développement sans limite et sans totalisation1 » des particularités, qui a pour effet de renforcer paradoxalement les ségrégations. Le signe + du mouvement LGBTQIA+ en est le paradigme. Il y a toujours un reste qui s’exclut des particularités2.
Or le lien social entre les êtres parlants se fonde à partir de la prise en compte d’une perte, un reste qui échappe, du fait que l’on parle et que l’on a un corps. Fondamentalement chez chacun, le rapport intime à la jouissance isole, parce que difficilement déchiffrable. Cette complexité propre à l’être parlant constitue un réel sur lequel celui-ci buttera toujours dans la rencontre avec l’Autre. Tenant compte de ce point d’impossible dans sa théorie des discours, Lacan a formalisé de façon inédite le lien social en le fondant primordialement sur le langage3. Le lien social renvoie aux conditions de langage propres aux discours qui nous ont été transmis et qui font tenir ensemble les êtres sur fond de non-rapport sexuel.
L’être exclu, le statut originel du sujet
Faisant référence à la position subjective « d’être exclu », Jacques-Alain Miller épingle l’exclusion dont, dit-il, « l’investissement est universel », comme étant « le statut originel du sujet, ce qu’écrit le mathème $, le sujet barré. Le sujet se produit comme (-1), ce que la libido investit de façon élective »4. Ainsi divisé par son inconscient et ne trouvant pas dans l’Autre de garantie, le sujet barré porte en lui la marque irrémédiable de son exil. C’est pourquoi la psychanalyse ne cherche pas à recouvrir cet exil subjectif primordial mais au contraire, s’en oriente pour opérer dans la cure, à la faveur d’un bien-dire qui estampille la singularité du sujet et lui permet de composer avec l’Autre.
Dans un contexte où il revient à chaque Un de produire et d’inventer sa solution pour suppléer au non-rapport sexuel, l’inclusion n’apparaît-elle pas comme une tentative symptomatique de prendre acte de l’exil du sujet sur fond de déni du non-rapport sexuel ?
Stéphanie Cahuzac-Morel
[1] Miller J.-A., « Intuitions milanaises [2] », Mental, n°12, mai 2003, p. 17.
[2] Cf. De Halleux B., « Une inclusion éclairée », Mental, n°45, juin 2022, p. 14.
[3] Cf. Alberti C., « En fin de compte, il n’y a que ça, le lien social », in Hulak F. (s/dir.), Lire Lacan au XXIe siècle, Nîmes, Champ social, 2019,p. 56-57.
[4] Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 52-53.