Les hommes sont « les tenants du désir » [1], dit Lacan. Sont-ils pour autant le sexe fort au regard de la jouissance ? Ce qu’un homme imagine de sa satisfaction sexuelle correspond-il à ce qu’elle est effectivement ?
Contrairement à ce qu’un homme imagine, sa satisfaction sexuelle ne prend pas fin avec la détumescence, mais coïncide avec elle [2]. Celle-ci, qui est du côté du principe de plaisir, fait limite à une jouissance devant laquelle l’homme cède prématurément. L’orgasme vient signer cet abandon devant ce « terme, qui serait tragique » [3]. Il n’est qu’une « petite mort » [4].
Dans « Introduction à la lecture du séminaire de L’angoisse de Jacques Lacan », Jacques-Alain Miller note que la détumescence prend, dans ce Séminaire, fonction de castration. Et il ajoute : « on voit s’élaborer un statut nouveau de l’angoisse de castration, non plus référée à la menace de l’Autre, celle d’un agent qui est l’Autre paternel, maternel, mais au fait biologique, anatomique, organismique, de la détumescence dans la copulation » [5]. Il n’y a là aucun agent de punition. En effet, il ne s’agit pas ici de menace de castration, mais d’une perte naturelle qui tient au fait même d’être sexué. Cette part perdue du vivant marque la relation de la sexualité à la mort.
Ainsi l’orgasme n’est-il pas sans angoisse, et ce temps de l’angoisse n’est pas absent de la constitution du désir. Même si ce temps n’est pas repérable concrètement ! Encore faut-il, pour qu’un homme éprouve du désir pour une femme, que cette angoisse soit voilée ! Entre jouissance et désir, il y a, certes, l’angoisse en fonction « médiane » [6] mais c’est à l’amour aussi bien qu’il faut se rapporter pour faire « condescendre » la jouissance à ce désir [7].
Dans le Séminaire X, L’Angoisse, note J.-A. Miller, « ce qui devient central, c’est le phallus organe, à opposer au phallus signifiant » [8]. Le phallus – celui de la castration imaginaire et symbolique – induit un leurre de puissance. Mais ici, avec le phallus organe, c’est « l’homme qui manque, car, dans la copulation, il apporte l’organe et se retrouve avec – φ. Il apporte la mise, et c’est lui qui la perd » [9]. Alors que, de la femme, Lacan dit dans ce Séminaire qu’elle ne manque de rien [10].
Lacan ne reviendra pas dans les séminaires ultérieurs sur ce phallus-organe mais, là, il est sur la voie de faire de la castration ce qui ne dépend plus du père [11]. Le phallus et la castration ne sont plus sous le régime de l’interdit symbolique avec le Nom-du-Père. Semblant phallique et semblant du Nom-du-Père s’avèrent ici inadéquats à « la prise véritable sur le réel » [12].
Objet a
À partir de cette limite, c’est la fonction de l’objet a qui vient s’imposer. Ce qui disparaît ainsi pour un homme, seul l’objet dit a par Lacan – un objet de « sépartition » [13] (séparation et partition), de partition interne au corps – peut en faire réparation. Cet objet est extérieur au champ de l’Autre, mais c’est lui qui est élu, positivé et déplacé sur le corps d’une femme. Ce faisant, un homme « aïse » [14] toujours une femme, dit Lacan – aïse renvoie à a, il ne l’idéalise pas, il l’aïse.
Ainsi, cet objet a, prélevé sur le corps du sujet qui ne peut le voir, n’est pas un objet en point de mire. « Condition » du désir, il est « derrière le désir » [15]. En tant que condition en deçà du désir, il exige au même titre que la condition fétichiste du désir. C’est un objet inconnu auquel le symbole ne supplée pas.
Il induit pourtant « un leurre de la structure fantasmatique chez le névrosé » [16] : « ce n’est que par leurres et fallaces [que l’objet a] est dans l’Autre » [17]. Aussi bien, l’homme névrosé rêve-t-il de perversion, là où l’objet a serait résolument placé dans l’Autre. Mais ce n’est chez lui qu’un « a postiche » [18] dans le fantasme et qui lui sert de défense contre l’angoisse.
L’objet a, bien que fantasmatiquement inclus dans l’Autre, reste cependant « irreprésentable selon les lois normales du champ visuel, extérieur à l’Autre » [19]. Formation ambivalente, l’objet a s’avère pris dans le scénario inconscient du fantasme dont « un pied au moins est dans l’Autre » [20] mais est irréductible à la symbolisation.
Dans le Séminaire L’Angoisse, le phallus-organe du corps, en jeu dans la sexualité masculine, et l’objet a de sépartition corporelle ouvrent la voie à ce qui apparaîtra plus tard dans l’enseignement de Lacan, la jouissance de l’Un-corps[21] en tant que le signifiant échoue à en rendre raison.
[1] Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 736.
[2] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 205.
[3] Ibid., p. 306.
[4] Ibid., p. 304.
[5] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du séminaire de L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, n°58, octobre 2004, p. 89, disponible sur CAIRN.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 203.
[7] Ibid., p. 209.
[8] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du séminaire de L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, n°58, op. cit., p. 81.
[9] Ibid., p. 86.
[10] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 231.
[11] Cf. Miller J.-A., « Introduction à la lecture du séminaire L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, n°59, février 2005, p. 75, disponible sur CAIRN.
[12] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 385.
[13] Ibid., p. 273.
[14] Ibid., p. 210.
[15] Ibid., p. 120.
[16] Ibid., p. 80.
[17] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du séminaire L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, n°59, op. cit., p. 75.
[18] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 63.
[19] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du séminaire L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, n°59, op. cit., p. 75.
[20] Lacan J., « Kant avec Sade », Écrits, op. cit. p. 780.
[21] Cf. Miller J.-A., « L’envers de Lacan », La Cause freudienne, n°67, octobre 2007, p. 135, disponible sur CAIRN.