« À partir d’un cartel pluridisciplinaire comme on dit, atteindre au faire-savoir à l’Autre social est à proprement parler le sens du politique, celui face auquel l’analyste ne recule pas ».
Sur ce dit de F. Biagi-Chaï, notre extime, c’est le pari décidé que nous avons fait de poursuivre en proposant depuis janvier 2017 à Cahors un atelier mensuel « Psychanalyse et criminologie », lieu d’élaboration et d’échanges autour des connexions entre ces deux champs.
À partir de l’étude de textes fondamentaux, mais aussi en prenant appui sur la clinique judiciaire et la clinique psychanalytique mises en commun, sont abordées diverses notions autour de la question du sujet criminel aujourd’hui et du sujet normal aux confins de « la psychose dite ordinaire » selon le terme introduit par J-A. Miller dans son Orientation lacanienne.
Après Freud, dont on connaît la thèse la plus générale sur l’universalité du crime, selon laquelle « chez le criminel, il s’agit d’un secret qu’il sait et qu’il vous cache…», Lacan, lui, aborde les choses par le versant du réel qui traverse tout son enseignement, depuis l’étude des crimes (le cas Aimée) pour terminer avec l’étude du cas de James Joyce.
La voie de l’écriture (la fonction de l’écrit) est une des voies possibles pour tenter de cerner ce réel auxquels les êtres parlants ont à faire, en réactualisant pour nous les questions déjà présentes dans la thèse de J. Lacan « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité », et ses Ecrits « l’Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie », « L’agressivité en psychanalyse », et « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose ».
La volonté de Lacan de saisir l’inconscient à partir de sa représentation selon les catégories du réel, du symbolique et de l’imaginaire est aussi ce qui nous permet de nous séparer de l’approche de la psychose par le comportement. En effet, si les « psychoses extraordinaires » se révélaient par des troubles massifs du comportement, ceux que l’on rencontre dans nos tribunaux mais pas seulement ne présentent souvent rien de tel mais révèlent plutôt des bizarreries, des styles de vie particuliers, des inventions, des témoignages d’une façon singulière d’être au monde et avec les autres.
Il s’agit donc de se déprendre d’une pente à vouloir traiter et comprendre à partir du comportement sans quoi nous risquons de passer à côté de la façon dont le sujet se définit lui-même, dont il parle de lui et, partant de là, se construit comme sujet dans un monde tout entier baigné par le langage. La clinique discrète de la forclusion du Nom-du-Père s’avère d’une grande diversité et tout un chacun, qu’il soit clinicien, juriste (avocat, magistrat, expert, travailleur social…) est amené à rencontrer ces sujets hors norme tout en étant dans la norme.
Nous nous orienterons aussi de la thèse soutenue par F. Biagi-Chaï1 nous sensibilisant, nous invitant à ne pas se laisser endormir ni fasciner par une manière d’être mais plutôt à s’étonner, à savoir lire et déchiffrer ce qui est donné à voir et à entendre. Un criminel a une histoire dans laquelle il y a des points de butée, de réel.
Nous essaierons de différencier cette notion de réel de celle de réalité afin de cerner ce qui du sujet n’a pu se dire, le poussant à agir. Le passage à l’acte ou l’acte peuvent venir comme solution face à un impossible à dire. Quand tout le symbolique est réel, quand d’infimes détails font signe au sujet qu’il entend comme « c’est ça, c’est le moment, ça doit se passer, j’ai eu un déclic », le font passer du côté de l’horreur. Est-il possible de repérer, avant, les prémisses qui nous permettront de l’éviter ou le détourner ? Ou bien, dans l’après-coup, lors d’une expertise par exemple, d’une audition, d’un entretien clinique, l’indication d’une coupure, tel le déclic, un détail, une goutte d’eau qui fait basculer dans le délire ? (comme, par exemple, le crime des sœurs Papin et le fer à repasser qui ne marche pas).
Quel est ce réel qui fait intrusion dans la vie du sujet ? Dans les passages à l’acte, comme dans les actes anodins, « il y a toute la structure fractale de l’acte du sujet ». Quid ?
Ces questions orienteront l’atelier qui se déroule chaque mois, à Cahors.
1- Biagi-Chaï F., Le cas Landru, à la lumière de la psychanalyse, Paris, Imago, 2007.
2- Psychanalyse et criminologie aujourd’hui – Repères conceptuels, éthiques et cliniques sous la direction de Yohan Trichet et Romuald Hamon, Rennes, P.U.R, 2016.
3- Freud S., « La psychanalyse et l’établissement des faits en matière judiciaire par une méthode diagnostique » (1906), Essais de psychanalyse appliquée, Paris, 1906, Payot.
4 – Cottet S., « La criminologie lacanienne », Mental n° 21.