Deux hommes se battent à la suite d’une bravade en voiture. Qui aura le dernier mot ? Dans le restaurant où elle travaille, elle reconnaît soudain l’homme qui a détruit sa famille. Le restaurant est très isolé… La mariée apprend qu’il l’a trompée avec une femme qui assiste à leurs noces. Comment s’aimer après une telle découverte ? Les passagers d’un avion découvrent, avec stupeur, qu’ils sont les otages d’une machination machiavélique orchestrée par le pilote de l’avion ! En échange d’une coquette somme d’argent, un homme devient volontairement le coupable d’un crime qu’il n’a pas commis. L’argent reçut suffira-t-il à payer la dette ? Les services de la fourrière enlèvent, à plusieurs reprises, la voiture d’un homme sur un emplacement qui n’était pas matérialisé. Comment matérialiser un espace qui n’a pas de limite ? Réponse : en faisant un trou !
Les Nouveaux Sauvages[1], film du réalisateur argentin Damián Szifrón, est une fiction qui interprète un mouvement à la fois subtil et tapageur de l’époque. S’il peut paraître difficile tout d’abord d’attraper l’unité des six sketches qui composent ce film, on est frappé par l’ambiance puissamment angoissante dans laquelle tous les personnages sont plongés. Enfin, on perçoit que les portraits que dresse Damián Szifrón s’attardent sur l’affrontement de parlêtres ordinaires, mis en scène dans leur vie quotidienne. L’Autre auquel ils ont affaire est toujours implacable.
Deux extraits
Bombita[2] est confronté à un fonctionnaire de l’administration de la fourrière. Comme beaucoup d’autres, Bombita est un homme surbooké. Il aime son travail qui consiste à dynamiter des édifices obsolètes et, dans ce domaine, c’est un crack. Le sort semble s’acharner sur celui qui va devenir une petite bombe (traduction littérale de Bombita) au moment où sa femme le quitte. Dégringolade, dynamitage. Celui qui avait les honneurs de sa société est déchu, il perd son travail et un juge lui interdit de voir sa fille chérie. Bombita est un destructeur, mais le pauvre fonctionnaire de la fourrière municipale l’ignorait. C’est pourquoi, à l’image d’une tragédie antique, chacun des personnages est mu par les fils tirés par les Dieux. Pas d’énonciation pour le fonctionnaire de l’époque de l’Autre qui n’existe[3] pas, ces fils s’appellent procédures, directives. Privé du je qui autorise l’exception, il réitère les arguments, tel un automate. C’est le passage à l’acte de Bombita qui ébranle l’édifice du savoir mort de l’administration. Propulsé par les médias qui font une large place à l’événement, Bombita est acclamé comme le nouveau héros de la lutte contre l’arbitraire de l’administration. Comble de l’ironie, c’est dans la prison où il est incarcéré qu’il restaure sa place de père.
Un homme que l’on imagine sans peine être un jeune cadre dynamique, roule à toute allure dans un paysage aride argentin. Sa voiture, un modèle flambant neuf, est ralentie par un véhicule poussif. Jeune/vieux, beau/moche, élégant/déguenillé… tout oppose les personnages. Chacun incarne l’exacte réplique de l’autre dans une sorte de miroir inversé qui ne tarde pas à déployer ses effets de rivalité imaginaire. Seule l’étreinte de la mort arrête l’escalade de violence à la fois grotesque et haineuse des protagonistes.
Le burlesque sert ici à représenter certains aspects sombres du temps présent. Si le film met en fiction les effets de la crise dans la société argentine à travers la corruption, les médias télévisuels, la folie administrative, ses personnages y opposent une réponse en forme de fantasme de vengeance salvatrice et libératrice. Damián Szifrón réussit à mobiliser un trésor de trouvailles scénaristiques qui, en provoquant le rire, mettent un voile pudique sur l’obscénité de l’époque.
[1] Relatos Salvajes, de Damián Szifrón. Argentine, Espagne. Festival de Cannes 2014 . Sortie en salles en janvier 2015.
[2] Surnom du personnage joué par l’excellent Rícardo Darín.
[3] Miller J.-A. & Laurent É., « L’orientation lacanienne. L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, 1996-1997, inédit.