Comment un savoir advient-il en cartel?
Ce qui pousse…
Reprendre un travail en cartel. Oui mais sur quel thème? Par quel bout tenter d’attraper un petit bout de savoir? Lorsque l’étude du dernier cours de Jacques-Alain Miller, « L’être et l’Un » me fut proposée, les questions de la marque du langage sur le corps, de l’émergence du Sujet, ont surgi. Je fus accrochée par ces mots. Prise dans un désir d’en savoir un peu plus sur cette question.
En effet, s’offrait là l’occasion de tenter de saisir quelque chose d’une question qui m’accompagne depuis plusieurs années : Comment traite-t-on la question du corps dans l’abord psychanalytique? Dans la névrose? dans la psychose? Comment émerge le Sujet, comment se nouent corps et psyché? Qu’est-ce que cette empreinte du signifiant sur le corps? Comment celle-ci influe-t-elle sur la manière de faire avec le réel?
Dans ma pratique quotidienne, dans le cadre d’un Relais d’aide et d’écoute psychologique, auprès de personnes en situation de précarité, de désinsertion sociale, se pose régulièrement la question du rapport au corps. On observe, chez certains sujets, un laisser tomber du corps, une difficulté à aller vers les soins, une façon de se tenir reflétant quelque chose de ce qui ne tient pas justement, parfois jusqu’à l’incurie. Chez d’autres, les douleurs se font envahissantes, les conduites addictives semblent prendre toute la place dans la vie du sujet, ou bien des rituels semblent avoir pour fonction de venir circonscrire quelque chose de la jouissance, parfois de marquer les limites du corps. Qu’est-ce qu’avoir un corps?
Quel mystère que notre relation à notre propre corps, cette « machine à être » (comme le dit si bien Daniel Pennac), l’image que l’on en a, à nos éprouvés corporels, qui parfois nous submergent, implacables.
Le petit groupe du Cartel
Le dispositif du cartel a ceci de particulier de nous autoriser, de là où nous en sommes dans l’abord de la psychanalyse, à tenter d’élaborer quelque chose d’un savoir, ponctuant notre cheminement, soutenant notre désir de saisir plus finement les concepts, afin d‘y voir un peu plus clair dans ce à quoi nous sommes confrontés dans notre pratique clinique.
Étudier ce dernier cours de J.-A. Miller, reprenant l’ensemble, et jusqu‘au tout dernier enseignement de Lacan, me paraissait bien audacieux. Et me le paraît toujours! Mais nous parcourons avec plaisir ce cours dense donnant un éclairage en perspective sur le long travail de déchiffrage et de traduction effectué par J.-A. Miller, et sur les mouvements dans l’élaboration de Jacque Lacan, jusqu’à ses points de butée.
Bien sûr, à chaque avancée, de nouvelles questions affleurent. Et les échanges nous invitent sans cesse à tenter de creuser, à aller lire, sur les pas de J.- A. Miller, sur les pas de Jacques Lacan, des textes divers : écrits de Lacan, les séminaires, bien sûr, des articles analytiques, mais aussi des textes littéraires, philosophiques, essais photographiques, etc. Horizon d’une richesse culturelle appelant à l’humilité mais que nous abordons dans une liberté réjouissante. Chacun des cartellisants transmettant aux autres ce qu’il a pu retenir de telle ou telle lecture, nourrissant notre travail, et nos élaborations singulières.
Le travail en cartel porte le désir et le travail de chacun, porte toujours plus loin notre désir d’en attraper quelque chose. Joli paradoxe, l’approche analytique ayant pour objet ce qui fait le Un, l’unicité, la singularité, ne s’attrape, ne se transmet jamais mieux que dans un travail à plusieurs.
Une question? Un cheminement !
Au fil de la lecture de « l’Être et l’Un », m’est apparue la nécessité de tenter de ramasser en une formulation, un fil, l’étendue du travail nécessaire afin de cerner quelque chose du nouage corps-psyché, du sujet en tant que parlêtre : de l’être au parlêtre.
Comment Lacan est-il passé d‘une étude de l’être, du sujet de l’inconscient, dans une prédominance du poids du symbolique, à l’étude de celui qu’il nomme le parlêtre. Qu’est-ce que le parlêtre? Cela demande de tenter de saisir la question de l’être, du manque-à-être, la question de la castration fondamentale qu’opère le la marque du langage sur le corps. Aussi, la question sous-tendant souvent le début d’une analyse, « Qui suis-je? » ramène à la question de l’être, de l’existence. Comment le sujet se constitue, avec un corps qui lui appartient?
Ces questions nous amènent à tenter de suivre Lacan dans son étude de la question de la jouissance, et du nouage permettant au Sujet de faire avec le réel.
L’étendue du savoir visé est grande. Celui-ci se dérobe à chaque pas! Chaque terme demandant à être envisagé de manière précise quant à sa définition, selon les moments de l’élaboration lacanienne, c’est un travail de longue haleine qui commence et promet d’être passionnant.
Enfin, je dirais que le travail en cartel nous invite aussi et surtout à un travail de reformulation, de transmission… de bien-dire! Au fond, ne revenons-nous pas là à quelque chose de fondamental dans l’abord analytique? L’effort d’énonciation autour de ce qui fait énigme, afin d’en cerner quelque chose?