La crise sanitaire, produite par la pandémie introduisant le COVID-19 dans le quotidien des habitants de la planète, est en train de produire, entre autres choses, un changement de paradigme sur la place de l’enfant dans notre société. Dans ces conditions, la longue histoire ayant abouti à la responsabilité collective dans la protection de l’enfant n’empêche pas sa possible transformation en objet dangereux et craint.
L’enfant fut, dans l’Europe du XIXe siècle, l’épicentre de la constitution de la famille, calquée sur le modèle chrétien. Il devint alors le pivot d’une construction où la distribution des richesses empruntait au Darwinisme sa prétention à la naturalité. Ainsi, comme le soutient Michèle Riot-Sarcey [1], l’ouvrier – privé de propriété et d’instruction – devint propriétaire de sa famille, substitut du bien bourgeois et passeport pour un semblant d’égalité dans l’espace public.
L’enfant autour duquel s’organise la famille trouve ainsi une place essentielle dans le maintien d’une organisation qui a mis du temps à le considérer comme digne de droits.
Dans l’état actuel des choses, le quotidien offre des occasions de constater un changement de perspective sur la place des enfants dans la cité. Ainsi, lors du peu de sorties tolérées aux citoyen.ne.s confiné.e.s, les adultes accompagné.e.s d’enfants sont parfois refoulé.e.s à l’entrée de certains lieux d’achats d’articles de première nécessité. Il leur arrive aussi de recevoir des remarques accusatrices sur le danger auquel ils exposent leurs concitoyens. Dans l’imaginaire de certains, le jeune porteur sain potentiel menace, de sa seule présence et en dépit de toutes les considérations sur les formes connues de transmission du virus, la santé de ses aîné.e.s. Cette nouvelle opposition biopolitique force les autorités à créer des mesures inédites : le Défenseur des droits, par exemple, a dû se prononcer pour permettre aux familles monoparentales de fréquenter ce type de commerce.
Le marché de jouets devient, plus que jamais, celui de la vente de jeux où la présence en chair et en os n’est pas indispensable. L’école, dont la cour de recréation était un laboratoire de la citoyenneté, est ponctuellement réduite à des cours arrivant sur l’écran de l’ordinateur. La dématérialisation de l’école décomplète, pour un temps, la triade élève-enseignant-groupe et oblige à inventer d’autres façons de faire passer le trésor des connaissances sans le prendre des mains des enseignants. Il est à portée de l’écran, encore faut-il de bonnes raisons pour vouloir s’en emparer…
La psychanalyse nous permet d’appréhender la difficulté à saisir ce qu’est l’enfant : nom d’un désir, motif de jouissance, objet d’innombrables prises fantasmatiques… L’enfant confronte le sujet adulte à la nécessité d’une construction sur ce qu’il a été. Comme dans les mythes, le récit qui en résulte fonctionne comme une vérité historique, digne de foi.
Et alors, dans la pratique ? Une première réponse, à partir du coup de fil d’une jeune fille de dix ans qui vient me parler depuis qu’elle a eu peur d’avoir été oubliée par ses parents dans un magasin. Pendant cette période de confinement, elle m’a téléphonée pour me faire part de son inquiétude : elle craint de passer le virus à ses grands-parents et les faire mourir.
Il m’a semblé important de faire entendre à la jeune fille que, même si c’était une évidence, ce n’était pas à elle d’énoncer la condition de mortel de ceux qui étaient déjà là lorsqu’elle est arrivée au monde. Sa réponse renvoya à ce qu’elle élabore depuis le début de son travail analytique : séparer la jouissance mortifiante incluse dans son désir d’être inoubliable.
[1] Riot-Sarcey M., Le Procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, Paris, La Découverte, France, 2016, p. 239.