J’ai rencontré Bernard This il y a une dizaine d’années, alors que je m’intéressais à la clinique des tout-petits interrogée avec les concepts de Lacan. Yasmine Grasser avait proposé à quelques jeunes collègues dont je faisais partie d’ouvrir un temps de consultation pour les jeunes enfants et leurs parents au sein du CPCT, rue de Chabrol à Paris. Que faire avec ces tout-petits qui circulaient dans les couloirs et dont la secrétaire devait s’occuper ? Comment accueillir ces demandes de parents avec de jeunes enfants ? Voilà ce qui nous avait conduit à ouvrir cet accueil pour les familles avec des tout-petits.
L’expérience alors naissante nous avait spontanément conduit à inviter des collègues lors de notre séminaire clinique, pour échanger sur les enseignements tirés de cette pratique. J’ai donc fait la connaissance de Bernard This, et de sa femme Claude, qui ont participé à plusieurs de nos réunions. Bernard This était vivement intéressé par l’expérience que nous avions de l’accueil des symptômes des familles qui poussaient notre porte. Il aimait que nous lui parlions des symptômes contemporains, du réel auquel se trouve confronté les familles aujourd’hui, différents de ceux de l’époque où il avait créé avec Françoise Dolto la Maison verte, que nous étions allés visiter.
Je garde un vif souvenir de ces conversations où il s’intéressait de près à notre clinique et où il faisait à l’occasion le récit, avec passion et générosité de sa pratique, de sa rencontre avec Lacan et de son amitié avec Françoise Dolto. J’ai retenu plus particulièrement la détermination avec laquelle il considérait le petit enfant comme un sujet, et ce in utero. Il insistait sur l’importance de s’adresser directement à lui même s’il est nourrisson, de lui donner toute sa place, invitant même à parler au bébé qui est dans le ventre de sa mère.
En 1979, Bernard This participait avec Françoise Dolto, à l’ouverture, à Paris, d’un lieu d’accueil pour les petits enfants de 0 à 3 ans et leurs parents, La Maison verte, où chacun peut partager un moment avec d’autres familles et des psychanalystes. Il s’agissait de fonder un lieu de socialisation et de parole « où ce serait l’enfant qui, le plus tôt possible, viendrait s’exprimer en présence de ses parents »[1]. De nos jours, il y a de manière incontestable « un effet Maison verte », les administrations ont développé la création de ce type de structure, aujourd’hui nombreuses en France. Bernard This savait que la Maison verte n’était pas un modèle et que chacun trouvait la formule qu’il désirait pour inventer son institution.
En 2012, est née une institution d’orientation lacanienne, le CLAP-Passage des tout-petits près de la Gare de Lyon à Paris, où est pratiquée la psychanalyse appliquée au symptôme dans la continuité de l’expérience qui avait démarré rue de Chabrol.
De nos jours, les lieux d’accueils enfants-parents, orientés par la psychanalyse, constituent des lieux subversifs où les solutions singulières de chacun des sujets qui les fréquentent sont respectées et prises en compte dans l’offre de parole qui y est faite. Ces sont des lieux où il est encore possible de résister à la déferlante du dépistage précoce des troubles qui envahit tous les secteurs de la Petite enfance.
Bernard This fut en son temps un actif défenseur de la parole des enfants, au travers des institutions qu’il a créées et de son engagement pour la psychanalyse.
[1] This B., La Maison verte. Créer des lieux d’accueil, Paris, Belin, 2007, p. 28.