La délégation Midi-Pyrénées de l’ACF a choisi pour thème d’étude en 2014 : « Qu’est-ce qu’une psychanalyse au XXIe siècle? » Le samedi 13 décembre, une journée de travail avec une invitée exceptionnelle, Anna Aromí, a réuni tout d’abord le Séminaire interne de l’ACF Midi-Pyrénées, puis un public très large et nombreux a écouté la conférence que notre invitée a donnée : « Les psychanalystes au XXIe siècle : où sont-ils? » Le soir, au théâtre, le texte poignant d’Annie Zadek faisait valoir que l’artiste fraie la voie du psychanalyste, lorsqu’on s’oriente de l’enseignement de Lacan.
Marie-Christine Bruyère saisit ici la valeur d’enseignement de cette journée pour l’étude de la psychanalyse et pour la présence de l’École de Lacan dans la cité et dans notre vie quotidienne.
Tel est le titre que je donnerai à la journée du 13 décembre 2014 : la séance du Séminaire interne, la conférence remarquable d’Anna Aromí et le bonheur du théâtre, comme une trilogie de désir.
A. Aromí, psychanalyste à Barcelone, AE de l’ELP, nous a fait l’honneur et l’amitié de sa présence pour animer avec générosité nos travaux.
Apprendre comme étudiant
Le texte de Jacques Lacan « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », publié en 1958, est à l’étude, car il reste d’une actualité indépassable pour le thème du Séminaire interne : « Qu’est-ce qu’une psychanalyse au XXIe siècle ?» Florence Nègre, responsable de ce Séminaire, nous accueille par cette remarque : « Le désir de l’analyste ne se reproduit pas. Il doit être produit pour chacun. » Dominique Hermitte et Victor Rodriguez, par une heureuse contingence, ont choisi, dans ce texte des Écrits, de commenter le cas dit de « l’homme aux cervelles fraîches ». Une orientation s’en indique : le Rien, écrit avec une majuscule[1], est au principe d’une cause, car il permet de saisir la dimension du désir distinguée de celle du besoin et de la demande. Ajoutant ses questions aux nôtres tout en les éclairant de son point de vue, A. Aromí fait référence à Freud avec le texte inédit de son vivant : l’Entwurf. Lacan en souligne la valeur d’intuition sur le fondement de la réalité chez l’être parlant. Une éthique s’en dégage : la réalité psychique se fabrique avec du plaisir ! Rien à voir avec une réalité objectivante, dont l’analyste serait le maître. En conclusion de notre matinée une question s’est ouverte, celle du nouage de l’organisme et du langage, de cette rencontre problématique qui fait un corps au parlêtre.
Apprendre comme analysant
Comment mieux le savoir que d’une Analyste de l’École en exercice ? C’est cette leçon qu’A. Aromí, par sa présence décidée debout face au public, nous a donnée dans une conférence qui a engagé sa parole dans le trajet de sa cure et de sa passe. Comment vivre après une mort qui fracasse une fratrie et comment sortir d’un état « mélancoïde »[2], comment se dégager de la pulsion de mort à l’œuvre ? C’est cette expérience qu’elle nous a transmise, ce recours thérapeutique jusqu’à son terme où « se casser la tête » (s’analyser) s’est substitué à se casser les os (des accidents ayant valeur de tentatives de suicides inconscientes). En un mot en un seul, c’est d’un style vivant, guidé par « les tripes du langage » que son témoignage nous a saisis.
Apprendre de l’artiste
L’artiste, comme Lacan nous le rappelle, « toujours nous précède ». Comment vivre après les désastres et quand on appartient à une génération réchappée du grand malheur. « Nécessaire et urgent », répond Annie Zadek, il est nécessaire de repérer la contamination du passé dans le présent, urgent de poser les questions qui n’ont pu être adressées. Hubert Colas dans une mise en scène dépouillée, réfléchit le texte de l’auteur qu’il qualifie ainsi : « Il y a dans ce texte une humanité magnifique qui est l’acceptation du départ et le désir de partir pour l’amour de la vie. Il n’y a pas d’effondrement ; il y a une nécessité vivante de prendre la parole et de dire ».
Dire, écrire, fixer la vie pour « se débrouiller avec l’insupportable ».
[1] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 642
[2] Pour les trois expressions entre guillemets de ce paragraphe, cf. Aromí A., « Les psychanalystes du XXIe siècle : où sont-ils? », conférence publique à Toulouse, organisée par la délégation Midi-Pyrénées de l’ACF, le 13 décembre 2014, inédit. E. Scarone, qui a traduit le texte de cette conférence, a choisi le terme « mélancoïde » pour rester au plus près du signifiant espagnol « melancoide ».