« Car si les pulsions causent des troubles, c’est la preuve que les chiens ne dorment pas »
Sigmund FREUD, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin »
Avec les événements récents, nul ne peut ignorer l’impact du malaise contemporain croissant sur l’école.
Pourtant, l’école est aussi le lieu où nous sommes bercés par un discours bienveillant qui nous chante des lendemains heureux grâce à l’inclusion pour tous, refoulant ce à quoi chacun d’entre nous est soumis.
L’école se trouve écartelée entre le « discours capitaliste » – avec ce qui « en représente le stade dernier le plus accompli, le plus monstrueux, le plus agressif et le plus possessif » [1] – et le discours universitaire, réduit aux neurosciences. Ce dernier s’échine à produire des protocoles pour le « bien vivre ensemble » afin de juguler l’agressivité des élèves et d’autres protocoles de « savoir-faire » pour remédier aux dysfonctionnements cérébraux. Ces deux discours sont à mettre entre guillemets, car il n’est pas sûr qu’ils permettent un lien social. Le premier donne priorité à la pulsion, puisqu’il nous pousse à nous rassasier par les plus courts chemins, tandis que pour le second, l’école est « la contrainte, la tristesse, l’ennui, un lieu où […] ingurgiter en portions exactement mesurées “la science de ce qui ne mérite pas d’être su”, matières scolaires ou rendues scolaires dont nous sentions qu’elles ne pouvaient pas avoir le moindre rapport avec le réel ou avec nos centres d’intérêts personnels » [2], selon la formule de Stefan Zweig.
Le malaise scolaire oscille à la fois entre le constat consternant que les élèves n’apprennent plus, rivés à leur smartphone, alimentant la jouissance sans l’Autre et la haine ordinaire qui s’en nourrit. Cette dernière prend de plus en plus de place dans les enceintes scolaires. Ainsi beaucoup d’élèves, devenus ilotes de leur objet plus-de-jouir, s’ennuient de ne plus pouvoir supposer le savoir à l’Autre, poussés ainsi parfois vers le pire.
Pour contrer ce malaise – qui se manifeste notamment par le harcèlement –, le discours universitaire recourt à un recueil de connaissances à dispenser « pour tous », associant une bienveillance anonyme et un savoir non troué pour faire taire l’agressivité qui gît en chacun de nous.
D’un côté, le discours universitaire revêt des habits kantiens pour distinguer le bien du mal, d’un autre, le discours capitaliste se pare des atours sadiens.
La conséquence de cet entrelac discursif laisse peu de place au désir, à savoir une place pour le manque et rend ainsi l’extraction de l’objet a compliquée. Dès lors, ce dernier se localise soit dans le corps – pour preuve les symptômes contemporains d’hyperactivité et tous les troubles ou dysfonctionnements – soit dans l’autre, réduit au stade du miroir où le « toi ou moi » mène la danse de la mort.
Dans L’Ère du toxique, Clotilde Leguil fait valoir que le toxikon révèle le nouveau malaise de la civilisation, à savoir celui qui met en jeu le désir et la pulsion. « Le toxique serait le terme à travers lequel se formule un nouveau malaise du désir, l’actualité d’une confusion entre désir et pulsion. C’est pourquoi il touche à l’intime, tout en fragilisant le vivant. » [3]
Claire Piette
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[1] Regnault F., « “Les choses de l’amour”. Hypothèses sur les récents événements de Paris. Vu d’El Al », Lacan Quotidien, n° 548, 27 novembre 2015, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr) http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2015/11/LQ-548.pdf
[2] Zweig S., Le Monde d’hier, Paris, Livre de Poche, 2001, p. 47.
[3] Leguil C., L’Ère du toxique, Paris, PUF, 2023, p. 94.