« Faut-il absolument imposer notre idéal du traitement à un sujet qui se sert de nous à sa façon, et qui y trouve sa satisfaction ? »[1]
Si le temps du traitement au CPCT est compté, le transfert quant à lui occupe une place sur mesure. La vigilance est de mise à ne pas confondre avec la hâte qu’implique le dispositif même, avec la précipitation qui sommerait l’intervenant à fournir au sujet une solution clé en main. Dans ce temps qui est compté, le transfert a pour visée soit de soutenir une question, un point d’interrogation sur la cause du désir du sujet ou l’apaisement en bordant la jouissance en jeu qui renoue le sujet un tant soit peu dans le lien social.
Préliminaires au transfert
J’ai reçu une patiente qui, dès la première séance, expose sa vie amoureuse avec son compagnon qu’elle décrit comme agressif, alcoolique et auteur de graves délits. Ses plaintes inlassablement adressées à son encontre m’amènent très vite à l’idée qu’elle doit le quitter. Mais à la fin de la première séance, elle m’indique la marche à suivre. Elle a vu une psychologue quelques mois auparavant pour évoquer cette relation amoureuse : « Je lui parlais de mon ami et la thérapeute m’a dit qu’elle voulait me revoir avant un mois parce que sinon j’allais me remettre avec lui ! Mais c’est pas du tout ça qu’il fallait me dire ! C’est pas ce que j’avais envie d’entendre ! »
Je pouvais désormais me garder de penser à une éventuelle rupture qui n’avait eu de cesse de me traverser l’esprit. Cette mise en garde m’a permis de me déloger d’une conduite d’entretien standardisée et normée, me garder d’orienter les entretiens là où j’avais plutôt à me faire docile aux signifiants du sujet.
Un pas de plus
On a beau savoir, cela résiste quand même ! Écouter cette patiente se présentait sur le versant d’un impossible à supporter : rien ne faisait barrage au flot ininterrompu de sa parole. Les tentatives pour brider ce flux n’avaient pour effet que d’en redoubler l’intensité et le débit. J’en étais réduite à guetter le moment où elle mettrait elle-même un arrêt à ce déferlement de paroles. Un éclairage lors d’un contrôle a permis de troquer le souci qu’elle s’arrête pour le désir qu’une scansion s’opère pour elle et qu’elle se mette enfin à dire. « C’est quand même pas un hasard si je rencontre toujours les mêmes hommes ? Peut-être que j’y suis pour quelque chose ? J’ai besoin d’aller au fond des relations humaines et des choses ». Aller jusqu’au fond ! Elle qui se faisait un devoir de toujours aller jusqu’au fond des choses, par peur de passer à côté, elle entendait désormais sonner dans sa bouche l’équivoque de ce mot. Elle, qui jusque là, avait fait des choix la conduisant à toucher le fond, la marquant jusqu’au plus intime de son être et de son corps.
Faire un pas de plus par rapport à ce que le sujet sait déjà, lui permettre de récupérer une part de responsabilité quant à sa jouissance, là où il se vit plutôt aux prises de l’Autre et comme joui par l’Autre : cette possibilité nouvelle de s’entendre dire ce qu’elle énonçait a créé un véritable effet de surprise chez cette patiente. Celle-ci n’a d’ailleurs pas manqué de marquer son étonnement devant ce gain de savoir sur sa jouissance, une satisfaction qui vient sceller la mise en place du transfert analytique dans le traitement proposé au CPCT.
[1] Miller J.-A., La psychose ordinaire, La Convention d’Antibes, Agalma, 2005.