La question du temps a traversé tous les exposés des intervenants à la dernière soirée de l’AMP à l’École le 1er février, centrée sur « Le corps parlant et ses états d’urgence ». En effet, le temps est indissociable de l’abord de tout phénomène dans le dernier Lacan, comme le remarquait Éric Laurent lors de la discussion.
Oscar Zack, notre collègue de Buenos Aires a évoqué l’urgence comme reformulation du temps logique dans ce qu’il a appelé « le sophisme de l’urgence » qui implique une précipitation du moment de conclure. Il a formulé une hypothèse : la contingence de l’acte de l’analyse pouvait répondre à la contingence de la rencontre du corps et de la langue. Il y aurait donc dans l’analyse une rencontre de deux contingences.
Juan Fernando Perez de Medellín s’est intéressé à la réponse face à la rencontre avec le réel : sidération où le temps subjectif est figé ou hâte où l’acte se précipite en urgence subjective. Il a également évoqué le style tardif (comme chez Lacan) qu’il a opposé à la procrastination à propos des urgences subjectives (insomnie procratinatrice). Le style tardif implique qu’il n’y a pas de temps à perdre.
Patricia Bosquin-Caroz a centré son intervention sur le temps de l’après-coup à propos des attentats du 13 novembre. Tout comme O. Zack, elle a souligné que face à ces attentats, il n’y a pas eu de temps pour comprendre, mais on est passé de l’instant de voir au moment de conclure avec l’annulation des Journées. Le temps pour comprendre est venu plus tard, après l’effet d’après-coup advenu lors des Journées de l’ELP à Barcelone « Crises » où la vérité du trauma s’est imposée à elle. Selon la distinction proposée par Patrick Boucheron[1], les attentats nous ont assommés, alors que ceux de janvier nous avaient sommés (dans les deux sens du terme), sommé plus de quatre millions de personnes à descendre dans la rue et à faire somme, sommé de nous réunir et de débattre. Les derniers attentats ont empêché les corps parlants de se rencontrer, dans une aspiration à la sécurité des corps. Ils ont morcelé les corps, envers du culte de l’Un.
Tous les invités ont insisté sur le lien entre l’événement traumatique et l’angoisse du corps parlant. Ainsi, Marcus André Vierra a souligné à partir de son exemple sur la balle perdue que l’angoisse vient dans un deuxième temps, lorsque la police proclame que chacun doit rester chez soi car le pire peut arriver ou lorsque la voix des rumeurs envahit l’espace public. Comme pour la mante religieuse, il est impossible de localiser cette voix qui n’est pas sans rapport avec celle du surmoi. L’urgence est du côté de cette voix surmoïque qui impose de jouir sans préciser dans quel objet. Il va s’agir alors de faire déconsister cette angoisse de l’urgence.
F. Perez précise que l’angoisse est ce qui réveille le corps parlant. À partir du Séminaire L’angoisse, Lacan définit l’inconscient comme discours de l’Autre, c’est-à-dire du corps, du corps en tant qu’il est troué, qu’il angoisse. Cette angoisse structurante permet l’éveil du sujet qui le fait sortir du rêve d’éternité. Par son style tardif mettant en fonction de la hâte, il nous détourne de l’idéal et de l’éternité pour nous concentrer sur la jouissance, précise É. Laurent.
[1] Boucheron P., « Les événements de janvier nous somment, ceux de novembre nous assomment », Libération, 6 janvier 2016, http://www.liberation.fr/debats/2016/01/06/patrick-boucheron-les-evenements-de-janvier-nous-somment-ceux-de-novembre-nous-assomment_1424729