Quelques points m’ont particulièrement intéressée lors de la soirée de la bibliothèque « Nouvelles perspectives pour l’enfant en analyse », où Daniel Roy était invité à présenter les publications de l’Institut psychanalytique de l’Enfant : Peurs d’enfant, Le savoir de l’enfant et Interpréter l’enfant.
D. Roy a fait valoir combien ces trois livres donnent une perspective, une orientation : pour se situer face au symptôme de l’enfant, pour préciser comment nous considérons l’inconscient de l’enfant, pour mesurer notre action dans la rencontre et la cure avec l’enfant. J’ajouterai que le fil rouge de ces trois ouvrages est celui de dégager le sujet de l’énonciation. En effet, ils font valoir combien son émergence est au cœur de la rencontre analytique avec un enfant, là ou le soin, l’éducation, les apprentissages visent plutôt à le faire taire.
La clinique de l’enfant, et spécialement celle du tout-petit, est une clinique de la prise dans l’Autre. Le tout-petit ne parle pas pour lui-même, il est parlé par l’Autre. Le jeune enfant est pris entre le Je de l’énoncé et le Je de l’énonciation[1]. Accueillir ces énoncés, jouer de l’équivoque dans le dialogue avec les parents, pour dégager le sujet de cet Autre dans lequel il est pris nécessairement, permet à un enfant de produire des énonciations, de parler en son nom.
Jacques-Alain Miller, dans sa présentation du thème de la journée de l’Institut de l’Enfant « Le savoir de l’enfant »[2], le définit comme « le sujet à éduquer », faisant ressortir ainsi la dimension d’objet qu’incarne l’enfant dans le monde contemporain et le situant comme enjeu de pouvoir. C’est le réseau de signifiants dans lequel il est pris qui détermine son statut d’objet. L’enfant n’est pas seulement cause du désir de ses parents soulignait Daniel Roy, il est aussi déchet de leur jouissance.
Dans le travail analytique avec un enfant et ses parents, le pari est d’introduire une part d’énigme, de malentendu, afin d’introduire un écart, une respiration entre le sujet et l’Autre auquel il a affaire. Accueillir le symptôme et les signifiants qui surgissent, leur donner leur place, en tant qu’ils font signe du rapport du sujet à un Autre parfois écrasant, est ce qui permet d’ouvrir un espace d’énonciation et de dégager un accès pour le désir.
L’enfant qui s’agite, qui dérange, qui s’oppose, qui fait des colères, est bien souvent ce qui pousse des parents à consulter. Dans son introduction, Laura Sokolowsky citait Baudelaire évoquant la créature de sensation qu’est l’enfant, son énergie vitale, son ivresse et elle s’interrogeait sur la place de l’enfant au xxie siècle. Le corps jouissant de l’enfant, la spontanéité du tout-petit, l’impact des signifiants de l’Autre sur son corps, ces manifestations de l’enfance traversent les époques. Mais le discours qui y répond, et les symptômes qui en résultent, ne sont pas les mêmes aujourd’hui qu’au xixe siècle. Daniel Roy notait que l’enfant est un corps que l’on déplace. En effet, l’on sait combien les objets à roulettes (poussettes, trottinettes et plus tard rollers, skateboards, etc.) font partie intégrante de l’univers des enfants et des parents. D. Roy soulignait à ce propos combien le déplacement est important comme outil psychanalytique. A contrario, maîtriser la jouissance de l’enfant, la comprimer, la réduire, est au cœur de l’éducation des enfants et trouve à s’incarner de manière extrême dans le traitement de l’hyperactivité.
Comme le soulignait Corinne Rezki dans la discussion, ces trois livres sont précieux pour les professionnels qui s’intéressent à la clinique de l’enfant, et pour la pratique en institution, à l’heure où il y a une urgence à transmettre, à témoigner de la puissance et de la pertinence des outils de la psychanalyse d’orientation lacanienne.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, Paris, La Martinière/Le Champ freudien, 2013, pp. 101-102.
[2] Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », in Roy D., [s/dir.], Peurs d’enfants, Travaux récent de Institut psychanalytique de l’Enfant, Paris, Navarin, Coll. de La petite Girafe n°1, 2011, p. 14.