Lors de cette belle après-midi1 sous le titre Epars désassortis2, Dalila Arpin nous a fait entendre que le couple répond à une logique de la rencontre de deux savoirs inconscients : le hors-les-normes appartient structurellement à ce nouage à deux, ce nœud qui serre, qui enserre, cette « danse au bord de l’abîme » comme invite à le lire Grégoire Delacourt3. La rencontre amoureuse, si elle participe de la contingence, nécessite un vouloir en savoir quelque chose des amants. Le couple nait à partir d’un dire4.
J’ai été sensible à ce point que Dalila Arpin a transmis du désir de l’analyste quant aux rencontres amoureuses. « Aucun conseil ne saurait être donné car la position de l’analyste interprète, tout en se gardant de pratiquer la suggestion. Le désir de l’analyste est, pour Jacques Lacan, une position qui va à la rencontre du désir du sujet, où le vouloir est absent.»5
Dalila Arpin parle aussi « des satisfactions secrètes » que revêtent les couples. C’est ce qui constituera un point central de la discussion avec Esthela Solano-Suaréz. « Pour certains, cette union leur a permis de tenir face à l’adversité de la vie, voire de produire une œuvre. Pour d’autres, le lien les a lancés dans une spirale sans fin où la souffrance se mêle au désespoir. Au fond, la singularité de chaque rencontre réside dans la manière dont les modes de jouissance respectifs peuvent se rencontrer. »6
Esthela Solano-Suaréz signale que l’ouvrage de Dalila Arpin permet d’approcher de près la question qu’est-ce qu’une femme pour un homme ? L’on serait tenté de conformer les femmes à une certaine norme qui les rendraient susceptibles d’être des objets qui causent le désir d’un homme, qui suscitent l’amour, qui serait choisie pour être mère ! Cela crée un commerce ! Ces normes (être belle, intelligente, riche…) issues de la normativité phallique, appareillées dans le dispositif du fantasme et notamment dans le fantasme de l’hystérique, font exister l’Autre femme, qui n’existe pas, comme étant celle qui l’a, l’agalma. En revanche, le livre de Dalila Arpin nous permet de cerner qu’une femme pour un homme, est un symptôme comme l’indique Lacan, voire, une lettre de jouissance. La fonction de la lettre ici n’est pas à confondre avec un trait qui relève de l’idéal. Si l’idéal peut être présent sous les espèces d’un objet sublimé qui aimante les partenaires : l’art, le combat politique – la lettre de jouissance du symptôme convoque en revanche un S1 dont le corps « se jouit » couplé à l’objet a du fantasme qui se substitue au partenaire.
Et puis nous avons entendu Philippe Lacadée sous le titre « Une trajectoire d’étoile hors-norme – Ma mission : entraîner beaucoup d’âmes vers un Retour à la Lumière. »
L’exposé de Philippe Lacadée a été dense, riche, haletant. L’on a suivi pas à pas ce qui se construit chez Augiéras, du côté du pire, mais aussi de la création. Des points m’ont saisie : un laissé en plan, enfant, et en l’absence de l’appel de l’Autre, un appel de la forêt et des astres. Mais aussi, « A la place de la fille qu’il aurait dû être, on a mis un garçon (petite médaille). Le signifiant « erreur délicieuse » nomme ce qui de la jouissance hors-limite de son corps est éprouvé comme hors-norme, d’où la solution du pousse-à-la-femme ».7 François Augiéras écrit que la naissance d’un livre délivre de la solitude et de la folie, et écrit avoir trouvé le secours d’une formule Le Vieillard et l’enfant, qui s’imposa dans son esprit lui permettant d’établir son existence dans l’écriture en soutenant « une volonté de survivre à travers une œuvre d’art.»8 Cette formule le poussa à écrire un livre qui fit scandale dans le monde de la littérature relatant sa relation au Vieillard auquel il offrait son corps, la nuit dans un lit de fer au milieu du désert directement sous le Ciel, comme objet de jouissance. Esthela Solano-Suaréz indique la proximité de la thématique de féminisation chez Augiéras avec l’érotomanie divine chez Schreber, et son devenir La femme de Dieu.
On constate dans le récit d’Augiéras que La femme est issue dans son délire de sa propre jouissance autoérotique dès lors que, quand il se caresse il se découvre être sa propre épouse. Mais à l’opposé de Schreber, Augiéras ne se rebelle pas face à sa féminisation, il y va sans opposition, sans protestation virile. Augiéras constitue l’exemple extrême de l’homme hors lien social, hors-normes donc.
1 Echo de la première séquence de l’Après-midi d’étude vers Pipol 8 organisé par l’ACF IdF : « Psychanalyse et art : des nouages et des inventions hors les normes », relu par les intervenants. Les interventions de cet après-midi d’étude seront publiées dans le prochain numéro de la revue de l’ACF IdF Confluents.
2 Lacan J., Autres écrits.
3 Delacourt G., Danser au bord de l’abîme, 2017, éditions Jean Claude Lattès.
4 En référence au livre de Naveau P., « Ce qui de la rencontre s’écrit »
5 Passage extrait de l’intervention de Dalila Arpin
6 Ibid.
7 Passage extrait de l’intervention de Philippe Lacadée
8 Ibid.