Une importante rétrospective vient de se terminer au Centre Georges Pompidou à Paris, consacrée à l’œuvre de Martial Raysse. Si vous l’avez manquée, vous pourrez voir quelques-uns de ses tableaux, installations ou sculptures dans différents musées, à Nice et Nantes, par exemple, et… au Centre Pompidou qui en possède dans sa collection permanente. D’autres expositions de son travail vont sans doute se tenir. Ayez l’œil !
« Maintenant je pense que l’important c’est d’atteindre ce qu’on appelait,
dans l’ancien temps, la poésie,
c’est-à-dire ces instants où l’on se sent vraiment vivre. »
Raysse M., Extrait d’un entretien avec J.-P. Cassagnac et Olivier Delliez,
cité par Cécile Debray, « Martial Raysse, “l’ymagier” », catalogue de l’exposition, p. 64.
Alain Jouffroy écrit de Martial Raysse qu’il est « un artiste dont la base sensible est celle qu’organise un verbe, une parole ». Il le décrit comme « poète-peintre-cinéaste », « artmaker ». Il dit même qu’il est « d’abord un poète »[1]. M. Raysse commence dès l’âge de douze ans à peindre et dessiner et reçoit un choc en rencontrant la reproduction d’une Haute-Pâte de Dubuffet. Mais c’est la voie de la littérature qu’il prend ensuite en s’inscrivant à la Faculté de lettres de Nice et il publie dès 1955 une plaquette intitulée Poèmes.
Si M. Raysse est, aussi, un écrivain, il explique ainsi ce qui l’a empêché de se consacrer à la seule écriture : « … je me suis aperçu qu’il y avait un phénomène tragique, celui de la communication des langages […] Quand un Japonais apprend à vingt ans le mot “brioche”, le mot a une toute autre signification que lorsque votre mère, à un ou deux ans, vous a tendu une brioche et que vous l’avez dégustée. Si vous utilisez ce terme dans un poème […], vous établissez des connexions intraduisibles. Cela m’a conduit à chercher au-delà des Mots »[2]. Ne peut-on pas lire ici, dans cet écart rencontré entre le mot et la Chose, autre nom du Réel, ce qui oriente la sublimation chez M. Raysse ?
Né en 1936 à Golfe-Juan-Vallauris, il a sans doute été marqué par le métier de ses parents, céramistes, ainsi que par leur engagement dans la Résistance et une expérience personnelle précoce de la guerre. Il a participé dans sa jeunesse, peu de temps, à certains mouvements artistiques – École de Nice, Nouveaux Réalistes –, et a pu être rattaché au Pop Art. Mais il s’en est différencié par le choix de modèles sans notoriété, comme il s’est distingué de ceux qui construisaient des structures à partir d’objets-déchets : il s’est très vite résolument tourné vers les objets neufs de la consommation galopante d’après-guerre. Il a toujours fait preuve à la fois d’innovation – voir son utilisation des néons – et d’une grande liberté de pensée (cf. en particulier sa conférence donnée au Centre Pompidou en 1984, Qu’il est long le chemin[3]).
Une première visite de cette rétrospective m’a procuré une nette jubilation – notamment devant la projection de son film Homéro Presto (1967), interprétation loufoque et personnelle de l’Odyssée d’Homère –, mais je n’en avais pas moins aperçu une face plus sombre. D’autres visites me l’ont confirmé : même sur les tableaux des « pin-up » des années soixante, la mort est discrètement présente (mouches et autres insectes sur les visages qui évoquent des vanités). Ailleurs, elle apparaît plus abruptement dans des dessins, collages, sculptures, etc., par exemple dans l’estampe Ce trottoir (ex-voto)/This pavement (ex-voto), 2000.
Je conclurai par cette remarque de Catherine Grenier, commissaire de l’exposition : « Si Yves Klein a pu dire […] “ l’art c’est la santé”, “ l’art c’est l’hygiène qui préserve la santé” aurait pu compléter M. Raysse »[4]. L’hygiène étant pour l’artiste une « hygiène de la vision » dont on pouvait se faire une idée en visitant l’exposition. Et C. Grenier cite Raysse : « Peindre la tristesse ne peut être que le jeu snob d’une conscience maladive ! La mort est bien assez affreuse, suffisamment inquiétante »[5].
[1] Trois citations extraites de : Jouffroy A., Martial Raysse, Paris, Fall, 1996, p. 7.
[2] Raysse M., cité par Jouffroy A., op. cit., p. 13.
[3] Raysse M., Qu’il est long le chemin, Paris, kamel mennour/les presses du réel, 2nde édition, 2012.
[4] Grenier C., « Martial Raysse ou le Dernier Peintre », Martial Raysse, Paris, Centre Pompidou, 2014, p. 20.
[5] Ibid., p. 21.