Roar, la quarantaine, sans emploi, vit seul depuis 15 ans du RSA. Il dort le jour et vit la nuit.
Pris dans une urgence subjective, il se décide à venir au CPCT. Il craint de réitérer son « choix » passé de rompre ses liens sociaux entretenus pour l’essentiel dans des jeux de rôles écrits puis scénarisés par un « maître du jeu ». A l’époque, la contingence lui avait permis de renouer des liens. Il se tourna vers une association aidant à la réintégration des personnes isolées. Pendant dix ans, sa participation à un groupe sur la communication a été un point d’appui nécessaire mais non suffisant pour lutter contre sa déprise sociale spontanée.
Dans une adresse tonnante à un autre, docile, sans intention mais pas sans désir, Roar qui se dit « bavard » se prêta bien volontiers à mon questionnement autour de sa pratique des jeux de rôles. Tout en le suivant pas à pas, je n’hésitais pas à faire usage de nuances auxquelles il était sensible là où tout semblait pourtant déjà un peu trop écrit. Au-delà de la complexité de l’univers des jeux qui se dépliait, surgit la question fondamentale de ce sujet : comment parler avec l’Autre ? Roar aime à utiliser de belles formules et seul dans son coin il prépare des heures durant ce qu’il va dire. Si dire le préoccupe, « faire coupure » pour prendre part à une conversation à plus de deux lui est impossible. Seul vociférer semble être efficace face à cet Autre.
Les arts de jouer et de converser vont se mailler tout au long du traitement dans un nouveau jeu.
Roar pense qu’une présence lui est nécessaire. « Trop couvé » par une grand-mère qui s’occupait de lui en l’absence des parents, il se dit « incapable de faire les choses tout seul ». Alors jeune adolescent, l’élève modèle qu’il était « se braque ». Plongé dans les livres, Roar se fait son propre « avis », démet les professeurs de leur « savoir absolu » et de points d’appui qu’ils étaient deviennent des « hypocrites ». L’Autre devient inconsistant. C’est à cette époque qu’il découvre les jeux de rôles.
A trente ans, dans ce quotidien des jeux lui permettant d’« être en contact tout en étant bien anonyme » fait irruption la vie privée de ses compagnons de jeu. Apercevant combien il ne rentre pas dans le code, surgit de nouveau cette figure abusive. Et, du bord du cadre où il se tenait, il s’en extrait et rompt le lien avec cet univers.
Tout de l’Autre fait reproche et Roar s’y fixe. Cependant, nos conversations vont l’accompagner à ce qu’il trouve à se loger auprès de cet Autre : ni trop près ni trop loin. Il a su très vite l’importance pour lui d’en passer par l’écriture et la nécessité d’écrire un système de règles « avec un minimum de flou » dont l’usage permet de loger « les petites incartades ». Jamais vraiment à l’abri de cet Autre pas accueillant, Roar qui se sait « très désagréable, boudeur qui grogne et marmonne » ne comprend pas pourquoi ces joueurs s’intéressent à lui.
J’interviens : « Ils jouent, vous jouez. »
A la faveur d’un trajet en voiture avec l’un des joueurs, alors maître du jeu d’une « campagne » en cours, Roar va pouvoir parler de son désir d’expérimenter avec ses compagnons de jeu son nouveau système. « Encouragé » par cet alter ego, il va se risquer à miser sa différence.
Roar, partant du CPCT en sifflotant, se donne la possibilité d’y revenir si de nouveau il grogne.