L’école de Lacan est celle qui parle à partir de ce qu’est l’expérience d’une psychanalyse. La présence de l’ECF dans les régions devient particulièrement effective lorsque ceux qui sont allés jusqu’au terme de cette expérience y sont invités. S’enseigner de leur témoignage est le pari que peut prendre la communauté de travail qui s’inscrit dans l’orientation lacanienne.
C’est dans cette intention que l’ACF-Midi Pyrénées a invité le 4 octobre dernier Danièle Lacadée-Labro, AE en exercice, à venir rejoindre ses membres pour participer à une séance de leur Séminaire Interne et donner une conférence publique. Florence Nègre saisit ici les points vifs de sa conférence devant un auditoire en grande partie jeune et captivé qui l’a écoutée parler sous le titre « Une cure-type aujourd’hui: une femme à venir de la fille ».
La cure-type, extraite du texte[1] de Lacan, avait été, avant la conférence, à l’ordre du jour du Séminaire Interne. Selon la méthodologie lacanienne qui exige des mêmes choses un « discours différent à être prises dans un autre contexte »[2], chacun avait relu ce texte de 1953 dans la perspective de la question mise au travail cette année : qu’est-ce qu’une psychanalyse au XXIe siècle ? Puis une conversation s’est engagée où chacun s’est tenu à suivre l’invitation éthique de Jacques-Alain Miller à « rester au plus près de l’expérience pour la dire »[3], pour dire la psychanalyse qui change. Comment par exemple envisager ce propos fort de Lacan selon lequel « l’analyste porte la parole »[4] du sujet à l’ère du parlêtre, quand la parole du sujet mute en « percussion du signifiant sur le corps »[5] ?
Une femme à venir de la fille. De la fille à la femme, l’avenir est tout tracé pour la biologie. Il en va tout autrement pour la psychanalyse. Prenant appui sur son analyse, Danièle Lacadée-Labro a fait entendre au cours de sa conférence que l’on devient femme selon un trajet singulier, une par une, au gré des rencontres et tout particulièrement de ce qui vous a été dit ou ce qui ne l’a pas été. Il s’en déduit que l’expérience de la psychanalyse peut permettre d’aller jusqu’au point de rendre compte de ce trajet et du sujet féminin qui en résulte. Extrayant de son expérience de vie des signifiants marquants, isolant la tristesse « passée dans [son] corps » « comme un liquide dans le corps », l’analyste s’est employée à disséquer plusieurs rêves jusqu’à rendre compte du passage subjectif entre le début de l’analyse empreint d’« un deuil infini » et la fin, marquée d’« un plus de vie »[6]. J.-A. Miller, commentant l’ultime conception de la passe par Lacan, avait pointé qu’il s’agit d’« une procédure inventée […] pour mettre à l’épreuve de dire la fin de l’analyse. »[7] Eh bien, c’est à cela que nous avons assisté, à une mise à l’épreuve de dire son expérience de la cure. Deux conséquences en ont découlé : un effet vivifiant du côté de la salle d’où ont fusé réactions et interrogations, et une mise au travail de D. Lacadée-Labro elle-même à recevoir et examiner les questions posées par l’assistance.
De sorte que l’on peut dire avec Lacan que si « la psychanalyse ne change rien au réel, […] elle “change tout” pour le sujet »[8].
[1] Lacan J., « Variantes de la cure-type », Écrits, Paris, Seuil, 1966.
[2] Ibid, p. 339.
[3] Miller J.-A., L’inconscient et le corps parlant, Conférence prononcée en clôture du IXe congrès de l’AMP le 17 avril 2014 à Paris. (L’inconscient et le corps parlant, http://wapol.org/fr/articulos/Template.asp?intTipoPagina=4&intPublicacion=13&intEdicion=9&intIdiomaPublicacion=5&intArticulo=2742&intIdiomaArticulo=5)
[4] Lacan J., « Variantes de la cure type », op.cit., p. 350
[5] Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Collection de la petite Girafe, Paris, Navarin, n° 1, 2011, p. 19.
[6] Lacadée-Labro D., « Reddition de l’hystoire et réduction de la jouissance », La Cause du désir, Paris, Navarin, n° 87, p. 95.
[7] Miller J.-A., « La passe du parlêtre », La Cause freudienne, Paris, Navarin, n° 74, p. 118.
[8] Lacan J., « Variantes de la cure-type», op. cit., p. 350.