1. Il n’y a pas de rapport sexuel
Cette affirmation de Lacan, thème de notre prochain congrès de l’AMP1, en avait surpris plus d’un dans le monde analytique lorsqu’il l’énonça. Pourtant il faisait passer à la logique ce que Freud dès 1908 constatait à sa façon : l’existence, chez chacun, d’une opposition et d’une dialectique entre ce qu’il appelait les exigences de la civilisation versus les forces pulsionnelles, lesquelles sont deux puissances hétérogènes et contradictoires.
« Il n’y a pas de rapport sexuel parce que la jouissance de l’Autre prise comme corps est toujours inadéquate – perverse d’un côté, en tant que l’Autre se réduit à l’objet a – et de l’autre, je dirais folle, énigmatique.2 »
2. Il y a des relations
Cette absence du rapport dans le champ de la sexualité des êtres parlants résulte de ce que les liens y reposent sur les objets a, rendant la jouissance a-sexuée. Il en découle chez les parlêtres une pluralité de relations ou de liens3. Dans son Séminaire « Les non-dupes errent », Lacan met en série l’amour avec la haine et l’ignorance. Ce qui nous autorise d’une part à conclure que le nombre 3 est de l’ordre du réel et d’autre part à nous interroger sur l’amour en tant qu’il participe de cette triade.
3. L’amour est une cassure
Déployant leurs différences relativement aux dimensions de l’imaginaire, du symbolique et du réel, il montre que ces trois affects relèvent d’une cassure se produisant dans le lien entre les trois dimensions.
La haine est le produit de la cassure entre l’imaginaire et le symbolique, ce qui le conduit à dire que la haine est toujours d’abord une haine du symbolique et qu’elle vise l’Autre, bien au-delà du semblable. Quant à l’ignorance, dès la première séance du Séminaire Encore, il la nomme « je n’en veux rien savoir » ; ce qui le conduit à affirmer qu’il se trouve, à l’égard de son auditoire, « en position d’analysant »4. La cassure, dans le cas de l’ignorance, s’effectue entre le réel et le symbolique, c’est un refus de faire passer le réel à l’ordre symbolique.
Alors l’amour, de quelle cassure est-il l’effet ?
De la cassure à la jonction entre l’imaginaire et le symbolique. L’amour commence, nous dit Lacan, par une faille dans l’Autre, soit une faille dans le mur entre vérité et savoir, qui ne font pas Un. L’amour, ce « Un » impossible entre deux corps, entre deux parlêtres, est une soif qui, précisément parce qu’insatiable, insiste encore et encore.
Lorsque cet impossible survient, et c’est par hasard, il se convertit en haine5.
Du lien que l’amour produit entre l’imaginaire et le symbolique, l’accentuation sur l’imaginaire produit l’amour courtois ; l’accentuation sur le symbolique organise l’amour divin dont les mystiques témoignent dans leur corps. Quand l’amour se risque au réel, c’est l’amour fou, l’érotomanie en est un exemple.
Comment l’amour apparaît-il ? Par ce même hasard. Il se déclenche par la contingence d’une rencontre dont le moteur est l’objet a, fétiche qui, de tout amour, est la boussole vers celui ou celle qui le détient, jusqu’au dégoût, si le hasard de la tuché tombe dans l’automaton de la répétition. Le coup de foudre est de l’ordre de l’instant, y prévaut l’imaginaire ; l’amour conjugal implique le passage à la loi, l’ordre symbolique. Le réel, lui, est à l’origine des amours malheureux.
Et l’amour dans l’expérience analytique ?
Il en est la condition même. Il se nomme transfert et est mis au travail du savoir, faisant apparaître que tout amour est un amour de transfert qui s’ignore. L’amour de transfert est l’embarrassante découverte faite précocement dans sa pratique par Freud. Due au hasard, elle s’accompagne de l’interdit d’incarner le désir dans le corps : pas de rencontre sexuelle des corps. D’une analyse, l’amour est le moteur, mais le corps parlant prend le pouvoir sur le corps jouissant et renforce par là même le lien du désir au savoir : un amour réel, car impossible, qui mène l’objet aimé vers le sicut palea.
Marie-Hélène Brousse
[1] Congrès de l’Association mondiale de psychanalyse qui aura pour titre : « Il n’y a pas de rapport sexuel » ; il se tiendra en avril 2026 à Paris.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 131.
[3] Cf. ibid., p. 39-48 & 73-82.
[4] Ibid., p. 9.
[5] Cf. ibid., p. 133.