« Profil », « match », « likes » sont les signifiants contemporains pour parler de la rencontre, plus que jamais manquée, avec le partenaire amoureux. Si, comme l’affirme Lacan, « il sera à jamais impossible d’écrire comme tel le rapport sexuel1 », en proposant des « rencontres par affinités », « des profils compatibles » et même « un score de compatibilité entre partenaires », les algorithmes se proposent comme suppléances de la formule du rapport entre les sexes qui, lui, ne s’écrit pas. Ainsi, la vie amoureuse actuelle s’appuie sur le supposé savoir de la rencontre que les applis sont censées fournir, afin de trouver « le complément idéal ». Lorsque l’attraction est réciproque, l’application indique match : le mirage de la rencontre amoureuse commence !
En effet, la clinique contemporaine met en évidence que la dissolution des liens sociaux produit des sujets seuls et isolés qui cherchent à traiter ce réel par le biais de la multiplication des rencontres. Pourtant, plus que jamais, ce que nous écoutons sur le divan est le ratage répétitif et généralisé, le mal heur de la non-rencontre et la solitude de l’Un2, de l’Un tout seul.
Sur ce point, Lacan est radical, il n’y a pas de rapport sexuel, il le définit « comme ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire3 ». Pour l’être parlant, le rapport sexuel fait trou dans le réel, il s’agit d’un trou lié à l’absence de savoir instinctif dans le sexuel et à l’impossibilité de la jouissance sexuelle. Ce qui sépare une femme et un homme, est une dissymétrie radicale des deux modes de jouissance ; la jouissance féminine n’est pas complémentaire à la jouissance phallique, mais supplémentaire4. Il s’agit d’une barrière irrémédiable entre l’Un et l’Autre sexe et c’est de la non-rencontre de ces deux modes de jouissance dont se plaignent les sujets.
Or, si l’inexistence du rapport sexuel est structurelle et si le désarroi amoureux existe depuis toujours, le nœud du malaise actuel réside dans la tendance à traiter ce trou structurel par le biais de l’économie insatiable du manque-à-jouir5, à traiter les ratages de l’amour par le biais de l’hyperconsommation, de la multiplication des rencontres et des partenaires. Puisque « la jouissance de l’Autre n’est pas le signe de l’amour6 », la déception, l’ennui, l’angoisse et la tristesse sont les effets subjectifs d’une poussée vers des rencontres addictives qui cherchent à faire exister la relation sexuelle de manière compulsive et souvent imaginaire. C’est dans cette impasse subjective qu’arrivent un certain nombre de sujets actuellement chez l’analyste, et en particulier les femmes.
Loin de la quête contemporaine de la rencontre rapide et complémentaire de l’amour, la psychanalyse offre une alternative pour traiter, chez chaque analysant, son rapport à l’amour, au réel, au manque, à la solitude structurelle du sujet. Ainsi, une analyse ouvre la possibilité de sortir de la fixité fantasmatique et de la répétition pour réinventer l’amour, un nouvel amour qui ne cherche plus à combler le manque dans l’Autre par le biais d’un complément d’être : un « amour plus digne ».
Et bien que, « nulle part, sous aucun signe, le sexe ne s’inscri[ve] d’un rapport7 », l’expérience d’une analyse permet de mieux se débrouiller avec le réel. Elle permet de savoir que l’amour fait suppléance, tentative de solution, réponse à l’impossible du rapport sexuel. C’est ainsi que, l’impossible pourrait donner lieu à la contingence de la rencontre amoureuse, de « la rencontre chez le partenaire des symptômes, des affects, de tout ce qui chez chacun marque la trace de son exil […] du rapport sexuel8 ». La contingence de la rencontre qui, un instant, donne l’illusion que le rapport sexuel cesse de ne pas s’écrire. Parce que, comme le soutient Lacan, « Il y a du bon heur. Il n’y a même que ça : au petit bonheur la chance !9 »
Victoria Paz
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 35-36.
[2] Cf. ibid., p. 109.
[3] Ibid., p. 132.
[4] Cf. ibid., p. 68.
[5] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 435.
[6] Ibid., p. 125.
[7] Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 553.
[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 132.
[9] Lacan J., « Introduction à l’édition allemande des Écrits », op. cit., p. 556.