Contrairement au maître moderne qui, en se voulant « gardien de la réalité1 » de l’enfant, cherche à faire taire le travail de l’inconscient, la psychanalyse propose une autre lecture. Elle considère que le fantasme existe chez l’enfant, qu’une « jouissance [s’y] garde secrète parce qu’elle est honteuse ou bien qu’elle procure un plaisir qui ne s’avoue pas2 », comme le formule Hélène Bonnaud. C’est aussi une lecture du rêve impliquant que celui-ci « n’existe pas en dehors du sujet parlant3 ». Le thème de la 8e journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien, « Rêves et fantasmes chez l’enfant », nous conduit donc sur le chemin de ce qui fait le vivant de la psychanalyse et des réponses de l’enfant face à l’impossible à dire, à ce qu’il n’y a pas. C’est à partir de ce trou que l’enfant, comme être parlant, aura à s’aménager une position supportable, face à l’innommable et au non-représentable.
L’analyste accueille l’enfant en tenant compte de ses coordonnées. Dans les rêves par exemple, il prend acte de la libido à l’œuvre. Il peut ainsi l’orienter vers ce qui anime le corps vivant de l’enfant. Impliqué par sa présence, l’analyste, attentif au signifiant qui « représente une jouissance pour un autre signifiant4 », invite le rêveur à lire ses rêves à partir d’un impossible à tout déchiffrer. Ainsi peut s’ouvrir la voie à un allègement du sens et des images qui composent le rêve. Dès lors, il se peut qu’un dire singulier émerge et avec lui un gain de savoir sur le désir inconscient ainsi que sur la satisfaction en jeu. C’est à la condition de ne pas ajouter de signification à ce qui travaille pour la jouissance et qui interprète déjà.
Les fantasmes sont eux aussi une réponse subjective. S’ils soutiennent l’enfant dans la construction de son monde, l’orientant vers ce qui peut causer son désir, tout en voilant le réel ; cette « phrase-image5 » qu’est le fantasme produit une satisfaction. L’enfant dans ses jeux et ses fictions ne cesse de « voler de la jouissance à la dérobée6 », suscitant en lui un plaisir, une satisfaction secrète. Les scénarios fantasmatiques de l’enfant indiquent que la réalité en construction « n’est constituée que par le fantasme7 ». Se lit alors comment l’enfant tente de faire avec le manque rencontré dans l’Autre, et son traitement.
L’enfant est ainsi mis sur la voie de l’exfoliation de l’imaginaire et du symbolique afin de cerner son partenaire-jouissance. Viser ce qui peut faire « respiration8 » dans les rêves et fantasmes est la tâche de l’analyste qui peut ainsi permettre à l’enfant d’occuper une place plus vivante dans le monde.
Nicolas Jeudy
1 Lacan J., « De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 359. Cf. également Miller J.-A., « Interpréter l’enfant », in Roy D. (s/dir.), Interpréter l’enfant, Paris, Navarin, 2015, p. 24.
2 Bonnaud H., « Présence du corps dans les rêves et fantasmes chez l’enfant », journée préparatoire vers la 8e journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien, organisée par le groupe Nadia du CEREDA, les laboratoires Tokonoma et De la filiation à l’affiliation du CIEN et l’ACF en Massif central, 18 janvier 2025, inédit.
3 Ibid.
4 Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne, n°43, octobre 1999, p. 18.
5 Miller J.-A., « L’image reine », La Cause du désir, n°94, novembre 2016, p. 22.
6 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 1er avril 2009, inédit.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 20 décembre 1977, inédit.
8 Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », in Roy D. (s/dir.), Peurs d’enfants, Paris, Navarin, 2011, p. 19.