La prochaine journée « Question d’École » s’interroge sur l’opération de la parole dans la pratique analytique aujourd’hui ainsi que dans le cartel, « organe de base […] de l’École »[1]. Qu’en est-il du statut de la parole dans le cartel, en tant qu’il participe de la formation de l’analyste ? Voici la question soulevée par l’argument [2] qui a retenu mon attention.
Lire en cartel rend la psychanalyse vivante, d’abord en ce qu’il est « une élaboration provoquée »[3], tout comme l’analyse et la passe, mais via le signifiant d’un transfert de travail. J.-A. Miller indique que le trait propre de chacun des membres du cartel doit être mis en valeur pour aboutir à la production d’un savoir [4]. Chaque Un s’implique et se risque à présenter ses trouvailles, ses points de butée ou le fil de sa lecture. C’est une expérience qui engage le corps, toute différente de la lecture solitaire qui mobilise quant à elle une autre jouissance. Qui n’a jamais fait l’expérience, par exemple, de la joie provoquée par la lecture de quelques pages ou passages préparatoires à la séance de cartel ? Cette joie n’est plus tout à fait la même au moment de présenter ces pages dans le cartel. Parler implique une perte de jouissance corrélative de la structure du désir.
Mais de quelle lecture s’agit-il dans le cartel ? L’inconscient est ce qui se lit dans la cure, à savoir les formations de l’inconscient ainsi que les effets du signifiant sur le corps. Cette lecture de l’inconscient produit un dire. La lecture en cartel est orientée vers un savoir qui est le produit de la rencontre entre l’énonciation du cartellisant et le texte étudié. Ainsi, la lecture en cartel est nouée à l’avancée du cartellisant dans son analyse.
Dans la « Postface » du Séminaire XI, écrite par Lacan pour ce premier Séminaire établi par J.-A. Miller, Lacan distingue ses Écrits [5], voués à la « poubellication »[6], de ce Séminaire, qui se lira, dit-il. Lacan, en jouant sur l’équivoque postfacer/posteffacer [7], souligne que postfacer ce livre reviendrait à effacer quelque chose de son Séminaire. Un écrit n’est « pas-à-lire » affirme-t-il, qu’il soit « p’oubli[é] »[8] assure sa postérité et ce faisant sa disparition.
Lire est donc tout le contraire : c’est interpréter, cerner, butter, chercher à comprendre, serrer un fil en se risquant à en transmettre quelque chose. Lire en cartel fait consister le discours analytique et en cela, il participe à la vitalité de la psychanalyse.
[1] Lacan J., Le Séminaire, « Dissolution », leçon du 11 mars 1980, Ornicar ?, n°20-21, été 1980, p. 15.
[2] Dupont L., Argument de « Question d’École 2020 : ‘‘Puissance de la parole. Clinique de l’École’’ », 1er février 2020, disponible sur le site de l’ECF : causefreudienne.net
[3] Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de “l’élaboration provoquée” », intervention lors de la soirée des cartels à l’École de la Cause freudienne, 11 décembre 1986, disponible sur le site de l’ECF : causefreudienne.net
[4] Ibid.
[5] Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1966.
[6] Lacan J., « Postface », Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 252.
[7] Cf. Ibid., p. 251.
[8] Ibid., p. 252.