Pour la troisième année consécutive, « War on Screen », festival international de cinéma, s’est tenu à Châlons en Champagne. La Comète, scène nationale et cinéma Art et essai, est à l’initiative de cette manifestation.
Dédiée aux représentations à l’écran des guerres et des conflits d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sa programmation allie les rétrospectives, les focus. Deux compétitions : celle des films documentaires et de fiction, pour la plupart inédits en France, et celle des courts métrages.
La présence d’un grand nombre de réalisateurs, lors des projections, en redouble l’intérêt. Ceux-ci viennent parler de leur film, déplier leur travail et rendre compte de leur démarche. C’est un climat particulier, alors, qui agite le centre de la ville. Comme si le réel de la guerre sur les écrans invitait à la convivialité, aux échanges impromptus entre cinéphiles, spectateurs, et artistes : le lien social pour supporter de voir la guerre?
On ne sort pas indemne de ce déferlement d’images sur les conflits.
La psychanalyse a pris une place au cœur du festival dès la première édition. Après une intervention sur le traumatisme de Bertrand Lahutte[2] en octobre 2013, et celle de Bernard Lecœur[3] l’année suivante sur la guerre et les jeux vidéo, c’est, cette fois-ci, Francis Ratier[4] qui est intervenu autour de la guerre d’Espagne.
Onze films faisaient rétrospective de ce conflit. La projection du Labyrinthe de Pan, de Guillermo Del Torro, clôturait l’ensemble et précédait immédiatement une table ronde « La guerre d’Espagne : Pourquoi? » mise en place à l’initiative de l’ACF-CAPA.
Ce film a d’abord été suivi d’une discussion passionnante entre Olivier Broche, programmateur pour La Comète, et Sergi Lopez, cruel capitaine franquiste dans le film.
La table ronde a prolongé ce moment. Y participaient Tangui Perron, historien, spécialiste en cinéma politique et F. Ratier, venu de Toulouse nous parler de cette guerre d’Espagne qu’il connaît si bien et sur laquelle il a beaucoup écrit, et plus particulièrement dans La psychanalyse à l’épreuve de la guerre.
Pour affirmer que la guerre était toujours prise dans une logique de discours, F. Ratier a commencé par décliner précisément, finement, ce qu’était un discours pour la psychanalyse. Il a poursuivi une conversation avec T. Perron face à une salle captivée par leurs approches singulières de la guerre d’Espagne. Ça et là des résonances apparaissaient avec l’actualité de la guerre dans le monde d’aujourd’hui.
Rappelant des moments précis de l’histoire, se référant à des images de la filmographie, F. Ratier a mis en exergue le régime de jouissance à l’œuvre dans cette guerre : « rien que de tuer »[5]. Après Le labyrinthe de Pan, S. Lopez avait conclu que le choix de Del Torro d’allier fiction et fantastique permettait une meilleure appréhension de la cruauté à l’œuvre dans ce conflit. D’introduire le concept de jouissance, le psychanalyste a permis d’éclairer et prolonger le propos de l’acteur.
Cette jouissance et ses effets, silence, exil, ont laissé des marques sur plusieurs générations. En écho aux questions du public, F. Ratier a rappelé que, à ces traumas, « ces blessures héritées »[6], à chaque fois propres à chacun, la psychanalyse permet d’inventer un mode de réponse singulier.
Depuis la naissance de « War on screen », en octobre 2013, à partir des liens créés avec l’équipe de la salle Art et essai et du succès des soirées « cinéma et psychanalyse », notre proposition, au titre de l’ACF-CAPA, d’un regard de la psychanalyse pendant le festival, poursuit son chemin.
[1] La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, ouvrage collectif sous la direction de Marie-Hélène Brousse, Paris, Berg international, 2015.
[2] Bertrand Lahutte, psychiatre, psychanalyste à Paris, membre de l’ECF.
[3] Bernard Lecœur, psychanalyste à Reims, membre de l’ECF.
[4] Francis Ratier, psychanalyste à Toulouse, membre de l’ECF.
[5] Vicens A., « Guerre, dictature et régime de jouissance dans le franquisme», La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, op. cit., p.171.
[6] Ratier F., Gonzales Delgado A., Goder L., « Blessures héritées », ibid., p.27 à 41.