Les thérapeutiques orientées par la parole s’inscrivent aujourd’hui dans un changement de paradigme tant au niveau de la place qui leur est faite qu’au niveau des conditions de possibilités de leur exercice. Un état des lieux de ce contexte est donc requis afin de dégager quelques perspectives pour la clinique.
L’usage de la parole est intimement lié à la langue d’une époque. Cette articulation connaît aujourd’hui une inflexion décisive au point d’avoir une incidence sur la pratique clinique. Appelons dépathologisation ce changement et considérons ses différents aspects.
La dépathologisation est une tendance à appréhender ce dont on souffre comme une identité ou bien un mode de vie détaché d’un questionnement sur sa genèse. Elle découle d’une évolution dans la conception du symptôme qui ne facilite pas l’interrogation du sujet dans sa manière d’y être impliqué [1]. Ainsi, chacun se fait sa propre idée de ce qui l’affecte, se définit à partir des mots qui circulent dans le discours courant et s’avance en revendiquant sa différence [2]. Ces « prêt-à-penser » freinent une élaboration subjective particulière et poussent à trouver refuge dans un savoir qui rassemble, en communauté le cas échéant.
Dans un même temps, les politiques en santé mentale misent sur un nouvel usage du droit. S’y introduit une conception du sujet qui favorise la protection de la dignité de la personne. L’autonomie et la capacité de l’individu à défendre ses intérêts sont valorisées. On attend de lui qu’il soit maitre de sa condition et auteur d’une parole qui lui serait propre.
Les droits du patient sont donc un levier pour favoriser la réintégration de l’individu au sein de la société. Ce qui relève du pathologique et qui pourrait entraver une bonne circulation des individus dans le social est à proscrire.
La normalisation de la condition de chacun est un idéal vers lequel l’institution cherche à tendre [3]. Une désinstitutionalisation alarmante en découle au profit d’une politique en réseau avec le libéral. Les urgences psychiatriques de certains hôpitaux ferment, les plateformes d’orientations et d’évaluations prennent peu à peu le relais des Centre Médico Psychologique. Au nom d’une maitrise de sa condition, la place accordée à la subjectivité se réduit, on assiste peu à peu à une sortie de l’orientation thérapeutique.
La dépathologisation lacanienne est d’un tout autre ordre [4]. Elle consiste à l’accueil sans préjugé de celui qui prend parole dans sa rencontre avec le clinicien orienté par la psychanalyse.
L’égalité des psychismes est une conception qui préexiste à l’écoute de celui qui reçoit, car « nous sommes tous égaux devant la débilité mentale » [5].
Le sujet de l’inconscient, comme le sujet de droit d’ailleurs, répond de ce qu’il dit et de ce qu’il fait. La différence cependant, c’est que l’un se rapporte à son moi tandis que l’autre, celui de la psychanalyse, s’enseigne de sa rencontre avec un savoir insu.
La cure est le lieu d’une expérience inédite où l’on découvre dans une langue qui nous appartient, ce qui a contribué à nos choix et à nos symptômes. La vitalité nouvelle qui en résulte n’a pas de prix. Elle offre une inscription dans le lien social depuis une position subjective désaliénée.
Comment loger la singularité de chacun dans la visée normative et collective des politiques en santé mentale ? [6] C’est l’enjeu de la clinique lacanienne, faire entendre que la conception du sujet qui oriente celui qui écoute est déterminante sur la possibilité de se dire.
Patricia Loubet
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[1] Cf. La Sagna Ph., « Dépathologiser ou démédicaliser : la forclusion du symptôme », Quarto, n° 131, juin 2022, p. 53-55.
[2] Cf. Ventura O., « L’année trans et son au-delà. Notes sur la dépathologisation de la clinique », Mental, n° 45, juin 2022, p. 140-144.
[3] Cf. Gorini L., « La dépathologisation : quelques remarques », Quarto, n° 131, juin 2022, p. 24-26.
[4] Cf. Biagi-Chai F., « La dépathologisation lacanienne et l’autre », Quarto, n° 131, juin 2022, p. 31-33.
[5] Miller J.-A & alii., « Zoom sur Lacan Redivivus. Conversation à la librairie Mollat, Paris – Bordeaux », La Cause du désir, n° 111, juin 2022, p. 72.
[6] Cf. Matet J.-D., « Dépathologisation, pas sans la psychanalyse », Hebdo-Blog, n° 259, 17 janvier 2022.