Le Service d’aide à la jeunesse (saj) a programmé « bilan et suivi » pour Pif-Paf, hébergé par ordonnance judiciaire dans l’institution où je travaille : sa mère, Mme C., « doit » être associée au processus avant que son fils rentre chez elle.
Accompagnée au premier entretien par l’assistante sociale de la pouponnière, Mme C. me dit :
— Je n’ai rien demandé moi ; je suis là parce que je suis obligée ; mon fils et moi, on n’a pas besoin de tout ça.
— En ce qui me concerne, lui dis-je, je ne suis pas obligée ! Si vous le souhaitez, je vous recevrai volontiers, mais pas sous contrainte.
La demande est clarifiée. Pif-Paf, deux ans et demi, viendra donc chaque semaine dans mon bureau accompagné par ses puéricultrices.
Il ne tarde pas à y risquer sa parole, luttant pour extraire les mots de sa bouche, bégayant parfois. Il y construit son monde. Mais son seul scenario, s’il y a des personnages de jeux, se résumera longtemps à : « Et pif ! Et paf ! » Excitation pulsionnelle à son comble, les mots lui font alors défaut pour déployer ses fictions et la causalité de cette lutte.
Un an plus tard, il habite à nouveau chez sa mère qui l’amène régulièrement à ses séances : « Vous avez compris que je ne voulais pas venir au début… J’avais peur que vous vous opposiez à son retour chez moi. »
« J’ai bien vu qu’il a fait des progrès, me dit-elle un jour, mais c’est aussi grâce à moi, n’est-ce pas ? » J’acquiesce : « Oui, grâce à vous ! Grâce à lui aussi, il est demandeur. »
Quand je ne comprends pas quelque chose, je peux maintenant faire appel à elle pour éclairer le quotidien de son fils. Petit à petit, nous convenons d’un rendez-vous bimensuel pour elle en tant que « mère », elle m’y indique comment « interpréter » son fils… qui est « comme elle », me dit-elle.
Coup de théâtre ! Poussée par le centre psycho-médico-social de l’école, Mme C. veut entreprendre, n’importe où, moult bilans scolaires et rééducations : « Je suis une bonne mère, je ferai tout pour mon enfant ! » Ce parcours du combattant des bonnes mères, c’est précisément celui que j’essaie d’éviter à mes jeunes consultants – Pif-Paf n’a pas quatre ans ! J’objecte gentiment, mais cela fait casus belli. Nous décidons de faire appel à la médiation de la déléguée du saj (heureusement fine mouche).
Lors de cette entrevue, Mme C. insiste : elle veut « faire tout » pour son enfant. Je lui dis alors de choisir : soit elle me fait confiance et nous veillerons ensemble, quand Pif-Paf sera demandeur, à ce que son fils soit accompagné pour sa scolarité, mais avec des professionnels qui ont ma confiance ; soit elle fait seule à sa guise avec n’importe qui et, dans ce cas, je propose que nous en restions là : je précise toutefois que je ne les laisserai pas tomber elle et son fils – c’est un paradoxe que j’énonce ainsi face à l’urgence : en rester là, mais sans laisser tomber ! Sans confiance et choix décidé de sa part, je suis au regret, lui dis-je, de ne pas être capable de faire du bon travail. Mme C. me répond : « Vrai ? Vous ne nous laisserez pas tomber ? Je suis si angoissée, je voudrais tant que mon fils réussisse à l’école. Si vous êtes là pour ça aussi, je reste. »
Comment comprendre après coup ce qui a été opérant ?
La cause de ma réponse tient au désir de l’analyste. Si la présence de la déléguée du saj, attentive aux semblants à incarner, fut nécessaire pour permettre de traiter la question, c’est la perte réelle (de Pif-Paf et de sa mère) mise en jeu par ma réponse qui fit acte. Pour que son angoisse – et une demande qui me soit adressée – émergent chez Mme C., il a fallu que je lui offre un choix réel en risquant cette double perte. Instant délicat, puisque Mme C. avait été séparée de son fils, par le Juge, après avoir tenté de se jeter par la fenêtre quand les services sociaux ont débarqué chez elle pour s’enquérir de la situation de l’enfant – elle me dira plus tard la honte qu’elle a vécue alors, au point de vouloir s’en extraire par défenestration.
Il s’agissait donc moins pour l’analyste de dire « je ne puis travailler ainsi » que d’accueillir la contingence pour tenter d’ouvrir, pour cette mère, la voie d’un désir orienté, qui n’erre pas tous azimuts.
Pour un sujet, s’engager dans le discours analytique, c’est un acte : cet acte est possible sous condition que l’analyste y pose son acte… d’ouverture au désir, éventuel, du sujet d’y engager et risquer sa parole. Mme C. a pu ensuite me parler d’elle : de la petite fille, nantie d’un père tyrannique, et d’elle en tant que femme qui cherche un compagnon, qui ne soit pas tyrannique comme le père de son fils : « Maintenant, je vérifie avant de m’engager, me dit-elle. »
Mme C. a en tout cas cessé de répondre à sa question de femme en tentant de combler cette question par son « être mère ». Pif-Paf s’en est par conséquent trouvé soulagé et a pu déployer ses questions et ses réponses – mère et fils s’accordant sur ce point : l’école, c’est important ; Pif-Paf s’y débrouille plutôt bien jusqu’à présent.