Soirée de la Bibliothèque de l’École de la Cause freudienne
jeudi 2 avril 2015
Cette Soirée de la Bibliothèque proposait une conversation entre le public et certains des auteurs ayant participé à l’ouvrage collectif paru en ce début d’année, La psychanalyse à l’épreuve de la guerre[1], établi sous la direction de Marie-Hélène Brousse. Les auteurs présents (Marie-Hélène Brousse, Nathalie Georges-Lambrichs, Bénédicte Jullien, Bertrand Lahutte, Yasmina Picquart, Francis Ratier, Antoni Vicens) ont pu discuter des différents enseignements que la psychanalyse et les psychanalystes peuvent tirer de cette activité proprement humaine qu’est la guerre.
Considérer la guerre comme effet de discours, c’est aborder la face obscure de la civilisation et écarter l’idée commune d’opposer guerre et civilisation, la guerre étant alors comprise comme simple assouvissement de la dite agressivité naturelle de l’homme. Bien au contraire, conjointe au processus de civilisation, la guerre est aussi source de création, comme le manifeste l’épanouissement de l’ingéniosité humaine en temps de guerre – il n’y a qu’à voir l’ensemble des progrès que font la science, la technique, la technologie, la médecine, etc., en temps de guerre, depuis le début de l’histoire de l’humanité, pour s’en convaincre. Insistant sur le terme de « commerce » dont parle Lacan dans le Séminaire V, quand il dit de la guerre qu’elle est la modalité fondamentale du « commerce interhumain », Marie-Hélène Brousse souligne et précise en quoi la guerre a un lien plus structural que la paix avec la constitution de l’objet commun puisqu’elle partage entièrement ce qui le fonde : soit la rivalité (dimension imaginaire avec le stade du miroir) et la concurrence (dimension symbolique avec la valeur phallique).
L’autre enseignement que la guerre peut apporter à la psychanalyse, consiste à prendre au sérieux la dimension réelle qu’elle porte en son sein. Tout d’abord dans le simple fait qu’elle est ce qui revient toujours à la même place : dans l’histoire de l’humanité, la guerre est la norme, la paix, l’exception. Mais plus encore, la guerre enseigne sur la jouissance en présentifiant le réel de la mort qui vise le vivant dans l’effectivité de la destruction des corps biologiques, dimension inséparable de toute véritable guerre digne de ce nom. En ce sens, pour reprendre l’hypothèse que proposait Laura Sokolowsky dans son introduction, « détruire les corps pour imaginer le réel : ce serait, peut-être, l’inconscient de la guerre. »
Mais n’a pas été oublié non plus au cours de cette soirée ce que la pratique de la psychanalyse peut enseigner sur la guerre. Si l’un des deux axes qui ont présidé à l’élaboration de La psychanalyse à l’épreuve de la guerre est l’axe épistémique, le second est celui de la clinique, au un par un, comme ont pu en témoigner au cours de cette soirée Antoni Vicens et Yasmina Piquart. Ils ont chacun fait part, l’un sur la guerre d’Espagne, l’autre sur la guerre d’Algérie, via leur propre expérience de la psychanalyse, de la façon dont la guerre leur était intime.
Enfin, thème des plus actuels, cette soirée s’est terminée sur les perspectives théoriques et cliniques qui se présentent aux psychanalystes lacaniens d’aujourd’hui quant aux nouvelles modalités de manifestation de la guerre en ce XXIe siècle, étant entendu que la guerre demeure un des phénomènes fondamentaux qui nous renseigne sur la manifestation du réel de la jouissance dans nos sociétés contemporaines.
[1] Brousse M.-H. (sous la direction de), La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, Paris, Berg International, janvier 2015.