La psychanalyse s’est construite autour du signifiant de vérité qui a la particularité d’être resté inchangé tout au long de l’enseignement de Lacan, même si, à sa toute fin, il y a ajouté le qualificatif de menteuse dont Jacques-Alain Miller a tiré des conséquences inédites pour éclairer la conclusion de l’analyse.
Lacan a inventé l’acte analytique pour fonder la psychanalyse dans sa dimension d’expérience en cernant ce que veut dire être un psychanalyste. Cela le conduit à se demander si « l’acte psychanalytique prend […] en charge la vérité1 ». Il répond que non, puisque la vérité n’est pas là comme ça, mais s’inscrit dans les trois pôles que sont l’imaginaire, le réel et le symbolique. Ce qui la définit, c’est sa position d’être, « au lieu de l’Autre, l’inscription du signifiant2 », définition qui la fixe au symbolique.
De fait, si le concept de vérité ne change pas tout au long de l’enseignement de Lacan, il apparaît que la vérité change au cours d’une analyse et passe de la révélation à la dévaluation, de l’amour pour ce qu’elle recèle de surprise à sa faillite. Au bout du trajet, elle apparaît défaite de ses ombres et reflets, et asséchée. Cela nous introduit à la deuxième leçon du Séminaire XV qui porte un titre surprenant : « Connerie de la vérité3 ». C’est certainement une provocation de Lacan, se dit-on. Après l’avoir tant chérie, pourquoi énonce-t-il que c’est une connerie ? Sans doute parce que le terme de connerie n’est pas simple à saisir. « C’est […] un nœud4 », et si la connerie mérite un certain respect, c’est qu’elle relève d’une fonction de « déconnaissance » dont Lacan fait sourdre le cryptomorphème5, il déconnaît.
Cette connerie-déconnaît est « indispensable à saisir comme ce à quoi l’acte psychanalytique a à faire6 », à savoir que vérité et connerie « se recouvrent7 », précise-t-il. Mais – et c’est le point extime de l’affaire – cette connerie de la vérité prend son départ de l’impossible à dire la vérité sur l’acte sexuel. Il s’agit d’interroger, dans l’acte psychanalytique, la déficience propre à dire la vérité sur l’acte sexuel8, dit Lacan. Ce terme de déficience résonne avec celui de déconnaissance, le préfixe dé indiquant le sens inverse. Cette déficience précède, me semble-t-il, la notion d’impossible dont il fera une catégorie du réel. Impossible de dire : le « vrai sur le vrai9 », énonce Lacan.
Enfin, si Lacan insiste tant sur la connerie de la vérité, c’est pour marquer combien le terme con, qui désigne l’organe sexuel féminin, ne peut être défini par aucune vérité. Il n’est pas nommable. Ainsi se referme la boucle, le con et la vérité de l’acte sexuel sont impossibles à nommer. Ils forment un nœud. D’où se fera jour d’autres occurrences pour définir la vérité, passant de sa « structure de fiction10 » à sa fonction de sœur de la jouissance11, jusqu’à en faire une conséquence de « l’horreur de savoir12 » qui marque la fin d’une analyse.
Hélène Bonnaud
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien éd., 2024, p. 82.
[2] Ibid., p. 82.
[3] Ibid., p. 29.
[4] Ibid., p. 45.
[5] Cf. entrée « Cryptomorphisme » dans l’encyclopédie en ligne Wikipédia : « En mathématiques, deux objets, et plus spécialement deux systèmes d’axiomes ou leurs sémantiques sont dits cryptomorphes (cryptomorphic en anglais) s’ils sont équivalents mais pas de manière évidente. C’est une définition informelle, contrairement à celle de morphisme. »
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, op. cit., p. 45.
[7] Ibid., p. 47.
[8] Ibid., p. 48.
[9] Ibid., p. 54.
[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 348.
[11] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 76.
[12] Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 309.
Texte issu de la soirée de la librairie de l’École de la Cause freudienne sur le Séminaire XV, L’Acte psychanalytique, qui a eu lieu le 28 mai 2024.