La clinique de l’enfant orientée par la psychanalyse ne méconnaît pas les fictions sur ce qui se dit de lui. Multiples, ces fictions suivent la place et la sensibilité que différentes époques ont accordées à l’enfant. Elles sont aussi l’écho des profondes mutations sociologiques de la famille au fil de ses remaniements successifs. Les plus actuels sont amplement déterminés par la science, et tout particulièrement par ses applications en matière de procréation. Ces fictions déplient aussi des idéaux à l’endroit de l’enfant. Tantôt considéré comme un adulte en miniature sans usage de la raison et de la parole, il fut aussi bien regardé comme faible et innocent. En outre, ce sont les Lumières qui ont contribué à accentuer le rôle et la responsabilité grandissante des parents. On en trouve une trace dans la définition de l’éducation dans L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d’Alembert. Non sans lyrisme, est ainsi proclamé qu’Heureux les enfants qui ont des parents expérimentés, capables de bien les conduire dans le choix d’un état ! Choix d’où dépend la félicité ou le malaise du reste de la vie [1].
Mais c’est Freud qui sépare la question de l’enfant des fictions qui l’entourent. En effet, dans cet investissement des parents dans leur enfant, Freud distingue un choix d’objet. Pour son père et sa mère, l’enfant est un objet, au titre de « stigmate narcissique » [2]. Élevé par Freud au rang de His Majesty the Baby, l’enfant comblerait ses parents jusqu’à ce point où « les lois de la nature comme celles de la société s’arrêteront devant lui » [3].
Les configurations de la famille – nouvellement qualifiée de parentalité – se caractérisent aujourd’hui par leur grande diversité. Plus encore, déboussolées devant l’absence de ready-made pour se repérer, elles butent sur le malentendu de structure des relations parents-enfants. Le discours courant en témoigne en déclinant les dysfonctionnements des familles contemporaines : parents toxiques ou défaillants, enfants violents, hyperactifs, ingérables, etc. Les diagnostics neurodéveloppementaux viennent comme caution scientifique à cette énumération de dysfonctionnements.
Or, comme le souligne Daniel Roy dans son argument qui oriente la 7ème Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant : « Le dysfonctionnement consiste à ne pas vouloir savoir que la famille est déjà un mode de traitement de la jouissance des corps parlants en présence, qu’elle ne répond à aucun idéal. » [4]
La position de la psychanalyse fait donc entendre autre chose. En effet, chaque enfant – jamais anonyme – a à prendre place dans la langue d’un monde d’abord coloré par les fantasmes, les idéalisations et leurs envers, de ses parents ou de celui qui l’accueille. Quand Lacan avance que c’est « [l]a fonction de résidu que soutient […] la famille conjugale dans l’évolution des sociétés » [5], c’est pour dire que ce qui est en jeu n’est pas la restauration d’un idéal – ni pour le petit sujet ni pour ses parents –, que ce premier soit dit « terrible » et les seconds « exaspérés ». Au contraire, il convient d’interroger pour chacun ce qui fait cause du désir et de cerner comment l’enfant est pris dans sa propre jouissance et dans celle de ses parents. Les textes de Yves Vanderveken et Valeria Sommer-Dupont nous en donnent, en avant-première de la 7ème Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant : Parents exaspérés – Enfants terribles, une perspective éclairante.
Martine Versel
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[1] Cf. Diderot D. & Le Rond D’Alembert J., « éducation », Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers – 1751-1772, Paris, disponible sur internet : http://encyclopédie.eu/index.php/934347916-education
[2] Freud S., La Vie sexuelle, Paris, PUF, 2022, p. 96.
[3] Ibid., p. 96.
[4] Roy D., Texte d’orientation, Vers la 7ème Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, « Parents exaspérés – Enfants terribles », disponible sur internet : https://institut-enfant.fr/wp-content/uploads/2021/01/PARENTS_EXASPERES.pdf
[5] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.