Un enfant attend dans la salle d’attente de la consultation. Il est avec sa mère, il est sage et tranquille, consulte un livre, échange quelques mots. La semaine suivante, le même enfant attend dans la même salle d’attente. Il est avec son infirmière – qu’il connaît bien. Il est agité et pousse des cris qui s’entendent dans tout le bâtiment, il dit qu’il veut « la voir », qu’il sait « qu’elle est derrière cette porte ». L’infirmière est embarrassée, elle veut sortir et s’éloigner.
Que faut-il en déduire ? Que cet enfant – dit autiste – ne supporte qu’une seule autorité, celle de sa mère ? Qu’en son absence il a un trouble du comportement et des conduites sociales ? Que l’infirmière est incompétente face à ce « comportement-problème » parce qu’elle n’a pas été formée aux bonnes méthodes, celles recommandées par la Haute Autorité de Santé ?
Nous ne le pensons pas. Écoutons-le : il crie une absence, féminine. Est-ce celle de sa mère ? De la psychologue qui le reçoit ? De la jeune fille qui vient de quitter la salle d’attente ? Nous ne le savons pas.
Mais nous savons une chose : il fait entendre sa voix dans tout le bâtiment. Sa voix emplit désormais une absence qui avait pour lui creusé un trou, une déchirure dans le monde.
Nous savons aussi que cette déchirure peut très vite devenir abîme dans lequel l’enfant peut tomber la tête la première, comme un corps en perdition, et dans lequel l’adulte ou les adultes présents sont aspirés, pour faire taire cette voix, au moment même où elle est la seule solution disponible.
Ce cri est en effet à la fois porteur de la puissance de négativité à laquelle a à faire l’enfant dit autiste et à la fois construction d’un espace plus humain, « derrière la porte », là où on peut se cacher. Stéréotypies, balancements, quelquefois automutilations, répondent à la même logique, difficilement déchiffrable. Ce sont des effets, mais nous n’en connaissons pas la cause. Psychanalystes, nous ne cherchons pas à combler le trou de cette cause obscure qui aurait de tels effets. Mais, entre ces effets et cette cause, nous supposons un sujet. C’est un pari, mais c’est lui, ce sujet à naître, que nous appelons à la rescousse avec une voix douce, des bribes de chansons et d’histoire, et tout autre moyen à notre disposition qui permettra de créer un lieu pour faire advenir un sujet à cette voix que le cri est venu recouvrir.
On peut vouloir ne rien connaître de cette puissance de négativité dont est porteur l’enfant dit autiste, et dont il souffre, mais les habits neufs du « trouble neuro-développemental », des « comorbidités » et des « méthodes scientifiquement validées », ne peuvent faire taire ce cri, ni arrêter ces stéréotypies. Il y a d’autres voies à explorer avec l’enfant, qui l’allègeront du poids de cette négativité, et elles sont nombreuses, et nombreux sont les parents et les professionnels, orientés ou non par la psychanalyse, orientés par les résonnances que ce cri a suscité en eux, qui accompagnent l’enfant dit autiste dans cette « incroyable diversité des chemins ».
Nous, psychanalystes, parents, citoyens, posons souvent la question : pourquoi l’autisme occupe-t-il aujourd’hui une telle place dans le débat public, pourquoi suscite-t-il de telles prises de position, souvent outrées, à tous les niveaux du corps social, jusqu’aux instances de la démocratie parlementaires et de l’état ?
Voici ma réponse, celle qui me vient aujourd’hui avec le souvenir des quelques mots échangés alors avec cet enfant-là : parce qu’il est dur d’entendre, dans ce cri qui affole, la voix singulière de cet enfant-là.
Telle est la cause de l’autisme que nous soutenons : maintenir, un temps, cet espace où ni l’enfant ni ceux qui l’entourent ne tombent, le temps de trouver une petite solution pour que la voix du sujet se fasse entendre. Sinon il disparaîtra de nouveau, pour longtemps.
Cette cause de l’autisme est aujourd’hui une cause à défendre – avec la psychanalyse.
Le blog La cause de l’autisme est ouvert et accueillera bientôt les initiatives, les difficultés rencontrées sur le terrain, et les divers événements qui soutiennent cette cause.
On y signe aujourd’hui la pétition Oui au choix de la méthode de soin – Non à l’interdiction de la psychanalyse : https://cause-autisme.fr/