Je partirai de cette citation de Jacques-Alain Miller : « vous rencontrez un signifiant dont vous ne savez pas ce qu’il veut dire, vous allez chercher un autre signifiant pour qu’il s’articule au premier. Autrement dit, le signifiant du transfert vous motive à aller chercher ce qu’il veut dire auprès d’un analyste comme autre signifiant[1] ». Le déploiement de la demande s’articule sur le couple S1-S2. Vous rencontrez un S1, il fait énigme, perplexité, trou, angoisse, empêchement… et vous allez chez un analyste pour lui donner sens : savoir ce qu’il veut dire : S2. Jacques Alain Miller dit qu’à ce moment, l’analyste est cet autre signifiant : il est le S2 en tant que trésor des signifiants, supposé pouvoir dire ce qui vous arrive.
Las, beaucoup de demandes aujourd’hui, surgissant dans le brouillage des promesses de psychothérapies rééducatives, font chuter la supposition de savoir pour en faire une certitude. Cette certitude va chercher sa vérification sur internet, dans les médias… On veut du prêt à porter immédiat et des effets thérapeutiques rapides. Pourquoi pas. Il y a donc dans ce cas, une permutation du psychothérapeute de la position de S2 à une autre forme de S1, celle du maitre, qui vous dit ce que vous devez faire et comment. Beaucoup des demandes qui surgissent aujourd’hui sont articulées sur ce mode que je résumerai par : « nous cherchons un maitre du savoir qui ne dise pas : “ce que ça veut dire”, mais “quoi faire” ». C’est un appel au maitre.
La position de l’analyste est celle de l’objet a. Si nous reprenons la logique développée par la citation, il va y avoir une permutation entre la demande : S1 (du côté du sujet) S2 (du côté de l’analyste), vers un S1 (toujours côté sujet), (a) étant du côté de l’analyste, le savoir venant disparaitre derrière l’objet. Être en position d’analyste, c’est soustraire le savoir, le faire glisser sous l’objet. Ainsi, l’enjeu devient, face à la demande, d’user de la supposition pour faire surgir (a) comme cause du désir, pour le patient, de venir parler, de venir dire, bien dire. S2 reste en arrière-plan, il n’est pas supprimé, il est soustrait. L’analyste n’est pas sans savoir.
Alors se dessine un nouveau circuit de la demande. Nous pouvons le lire dans le schéma de la pulsion[2] : il est composé de cette flèche de la pulsion, elle fait le tour de l’objet a et vient arrimer le corps de celui qui parle, comme un hameçon, comme l’hameçon de l’affiche FIPA. C’est donc un état de la demande qui prend en charge ce qu’elle contient toujours, plus ou moins voilé, de pulsionnelle.
Nous pouvons faire le pari que les institutions de la FIPA, CPCT ou autres, de par leur orientation psychanalytique, font, dans leur approche du traitement court, cette opération de permutation de la demande, sorte de jujitsu de la demande. Quand il n’y a pas de demande, ou qu’elle vient de l’Autre, ou que le sujet ne peut l’articuler, il y aurait à faire surgir ce qui fait S1 pour le sujet, appelant dans le transfert un S2. C’est un premier soulagement pour le sujet. Ensuite, une fois que l’idée d’aller chercher un S2 est installée pour ce sujet, comme le propose Jacques-Alain Miller, ne pas donner ce S2, le faire glisser sous la barre. Alors seulement, peut émerger la cause du désir de parler pour un sujet et l’analyse peut se poursuivre ailleurs. C’est en quoi, me semble-t-il, ce jujitsu étant commun à toutes demandes de traitement, qu’elles soient en institution, en cabinet, dans le médico-social… nous avons tous intérêt à se rendre à la journée FIPA.
[1] Miller J.-A., « Come iniziano le analisi », La Cause freudienne, Navarin / Seuil, n° 29, février 1995, p. 13.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1973, p.163