Si la notion de « crise d’adolescence » nous semble aujourd’hui mal formée, car elle suppose de considérer l’adolescence comme une période de développement à risque entre enfance et âge adulte, tout indique néanmoins que le parlêtre traverse, au temps de la jeunesse, un moment critique où s’opère une disjonction entre l’Autre du symbolique, de l’autorité, et l’Autre du corps, entre le lieu où ça se dit et le lieu où ça se jouit.
Pourquoi une telle disjonction ? Parce qu’un élément hétérogène, une nouvelle satisfaction, entre en jeu, du fait des « métamorphoses de la puberté », qui vient introduire un moment de crise à la fois dans l’Autre, qui ne peut en répondre, et un moment de crise dans le corps, dont l’image est trouée par cette jouissance, que Lacan désigne comme jouissance phallique. Cette jouissance « neuve », hors-corps, vient s’interposer entre celles qui se distinguent comme filles et ceux qui se distinguent comme garçons. Ainsi commencent les embrouilles entre les sexes, dans les meilleurs des cas. Une certaine embrouille dans la langue, qui noue l’Autre et le corps, en témoigne.
À défaut de cet effet de coupure – symptomatique le plus souvent –, qui localise la jouissance et la répartit dans les semblants du sexe, prolifèrent des mises en actes qui font coupures sur le corps ou qui nient toute coupure : scarifications, anorexie-boulimie, recours à des substances marquées d’interdiction.
Depuis toujours, au temps de la jeunesse, le parlêtre est une plaque sensible sur laquelle s’enregistrent toutes les crises du discours courant, crises dans la représentation, crises dans les modes de jouir. Aujourd’hui, le moment critique dans le social s’oriente vers un nouveau rapport à l’objet et au corps de l’autre plutôt que vers les idéaux. Les signifiants qui indexent ce nouveau rapport sont ceux « d’addiction » et de « harcèlement », sollicitant chaque « ado » à prendre position face à ces nouveaux réseaux. Avec les jeunes qu’il rencontre, un psychanalyste peut relever le pari de dégager les signifiants particularisés et les objets qui valent.
Dans une intervention à Milan en 1972, Lacan dit que « jeunesse est un mot tendre ». C’est en effet un mot qui donne une chance de se confronter au malentendu des semblants et au réel de la jouissance, sans s’en faire les servants. « Jeunes gens », « jeune fille », « jeune homme », sont des titres dont chacun, au temps de sa jeunesse », peut s’emparer, pour s’en parer.