« Interpréter les parents » est une des cinq initiatives que Jacques-Alain Miller nous propose pour la 3e JIE « Interpréter l’enfant ». Il s’agit d’un champ de recherche peu exploré. À la lumière d’une vignette clinique, Bruno de Halleux nous montre qu’il est important de ne pas le négliger.
« Rendons un peu de dignité à « interpréter les parents » en examinant sérieusement la place que nous y accordons. […] Cristallisons ce concept ». Jacques-Alain Miller, dans le texte qui oriente la journée de l’Institut de l’Enfant, nous dit qu’en général on parle un peu rapidement des parents, on dit seulement comment on a eu affaire au père, à la mère.
Voilà une difficulté souvent rencontrée dans la clinique en institution. C’est ce qui est appelé « le travail avec les parents ! » Ce travail délicat, complexe et subtil reste peu élaboré dans notre champ. J.-A. Miller nous l’indique comme nécessaire quand il note que l’idéal du moi, s’il n’est pas introjecté chez l’enfant, à l’occasion, il se balade au dehors.
Nous-mêmes vérifions depuis de nombreuses années combien ce « lien » avec les parents, s’il est le plus souvent nécessaire, n’en reste pas moins sensible et fragile. Nous constatons que le travail clinique en institution avec les enfants est facilité lorsqu’un lien avec les parents a pu se nouer. C’est spécialement vrai lors des candidatures, à l’entrée d’un enfant dans l’institution.
À l’Antenne 110, la directrice et moi-même avions été sensibles à la détresse d’une mère d’un enfant autiste de quatre ans. Cet enfant ne restait pas en place. La seule façon que les parents avaient trouvée pour le calmer un court moment était de lui donner une sucette. Lors de l’entretien d’admission, la mère avait sorti de son sac toutes les quatre ou cinq minutes une nouvelle sucette afin de calmer l’enfant.
Elle n’osait plus aller dehors, elle ne pouvait plus faire la moindre course, elle était empêchée de toute activité à l’extérieur. Elle avait frappé à différentes portes, avait demandé de l’aide tous azimuts, mais aucune piste ne s’était ébauchée pour un début de solution.
Face au désarroi de la mère, nous avions accepté son fils en externat sans creuser davantage la position en impasse que les parents avaient rencontrée dans les lieux où ils s’étaient adressés.
Une fois son fils accueilli à l’Antenne, il n’a pas fallu quinze jours pour que les critiques à l’égard de l’équipe commencent à fuser. La mère nous reprochait un grand nombre de choses, elle nous indiquait que si l’enfant était agité et agressif en institution, il ne l’était pas à la maison. Elle et elle seule savait y faire avec lui. Même son mari n’arrivait à rien. Autrement dit, sa détresse et sa position de femme divisée lors de la candidature avaient disparu bel et bien. Nous étions les « incapables » et elle nous faisait la leçon.
Assumant les critiques sans trop nous décourager, l’enfant avait malgré tout trouvé, au cours de l’année, un fragile équilibre qui lui ouvrait une place dans les divers ateliers de socialisation et d’apprentissage que nous lui proposions. La coupure des vacances arriva. La famille rentra au pays avec les enfants. Ils passèrent un mois épouvantable, enfermés dans leur maison de vacances car l’enfant, dès leur arrivée, était revenu à son agitation et à ses agressions incessantes, comme au premier jour.
À son retour à l’Antenne 110, l’enfant était méconnaissable, pire qu’il ne l’était lors de ses premières semaines avec nous. L’équipe n’en pouvait plus. Nous avons alors pensé que nous ne pourrions pas le garder car il mettait en danger d’autres enfants.
La mère est venue nous dire son désespoir. Nous avons décidé de lui proposer un entretien une fois par mois pour nous soutenir (elle et nous) dans la poursuite de l’accueil de son enfant. Elle donna son accord, ce qui nous surprit. Un accord qui nous a semblé se rapprocher d’une demande vraie de parole et d’écoute. Dans les entretiens, elle nous a dévoilé, entre les lignes, les impasses auxquelles elle avait affaire, impasses qui touchent autant aux difficultés propres à l’autisme de son fils, qu’à celles de sa vie familiale soustraite à toute vie sociale, ou de sa relation à son mari qu’elle doit sans cesse encourager pour qu’il ne sombre pas dans la dépression. Elle se révèle être une femme qui tient par-dessus tout à son honneur, elle se soustrait à la vue des autres, elle évite, en se cachant, la honte que pourrait générer la maladie de son fils auprès de ses proches.
Ces entretiens l’interprètent – c’est une deuxième surprise et c’est la sienne –, ils ont transformé ses plaintes en une parole plus authentique. Elle en est déconcertée, elle rit parfois, elle est plus détendue.
L’enfant est toujours chez nous, les entretiens se poursuivent.