Le labyrinthe du silence
Ce film de Giulio Ricciarelli m’a replacée dans l’atmosphère de mon adolescence. Née en Allemagne juste avant la guerre, j’ai vécu les premières années de ma vie dans l’Allemagne nazie. Angoisse, inquiétude, effroi.
Le film met en scène un jeune procureur Johannn Radmann qui est surpris par le mot de Auschwitz qu’il n’avait jamais entendu. Soutenu par le procureur général Fritz Bauer, Radmann se met à la chasse d’anciens nazis. Il se rend compte que l’Allemagne du Wirtschaftswunder, du miracle économique, est infestée d’anciens nazis. Les médecins, les avocats, les hommes politiques comptent parmi eux de nombreuses personnes qui ont été actives à Auschwitz. Konrad Adenauer, le chancelier, voulait tirer un trait sur cette histoire. Mensonges et culpabilité régnaient dans ce pays. Dans le film, un journaliste s’adresse à Johann Radmann : « Est-ce qu’il est vraiment utile que tous les Allemands se demandent si leur père est un meurtrier ? »
Un ancien déporté crie : « Ce pays veut vivre sous un glaçage. » Il fallait enjoliver le passé, le rendre absent.
Totschweigen – tuer par le silence tout ce qui s’est passé. Profiter des biens rendus accessibles par le miracle économique que toute l’Europe enviait à l’Allemagne.
Deux moments de ce film m’ont tout particulièrement touchée. Dans le premier, le jeune procureur, un peu trop justicier, finit par trouver plusieurs anciens déportés. Il les interroge. Nous, les spectateurs du film, n’entendons pas ce qu’ils disent. Nous ne voyons que les visages, les bouches qui tremblent, les lèvres qui se déchirent, les yeux écarquillés d’horreur, les visages endoloris. La peau labourée depuis soixante-dix ans de larmes et de douleur. Au-delà des mots, au-delà des paroles. Ce qui ne peut se dire, ce qui est indicible.
Dans le second, Radmann ne savait pas, ne voulait pas savoir comment son père avait traversé les années du nazisme. Il pose cette question à beaucoup d’autres, il est logiquement contraint de se la poser aussi. Et il apprend que son père a eu la carte du parti national-socialiste. Il tombe en détresse, dans un état de Hilflosigkeit. Il se met à boire, comme les nazis entre eux, il se fait jeter par la femme qu’il aime, il travaille dans un bureau d’avocats véreux avec un avocat qui défend les nazis. Après ce moment de fading, de disparition à lui-même, en une fraction de seconde, il se rend compte qu’il se trompe, il démissionne de ce poste de jeune avocat d’affaires. Il retourne voir Fritz Bauer, le procureur général et lui dit qu’il va reprendre la recherche des anciens nazis qui jouent un rôle de responsabilité dans cette Allemagne. Bauer lui demande : « Pourquoi êtes-vous revenu ? » Radmann répond : « Parce que après ces horreurs, il faut faire ce qui est juste. » Das was richtig ist, ce qui est éthiquement juste.
C’est dans cette coupure que Radmann trouve sa dignité d’homme.
J’ai quitté cette Allemagne. Je me suis décidée pour le discours analytique. J’essaie d’en dire quelque chose le mieux possible.