« Rien de plus humain que le crime1 ». Il n’y a pas plus de marque biométrique, comme l’aurait voulu Lombroso, que d’identité chromosomique, comme le voudrait le rêve scientifique de connaissance de l’homme : c’est la loi qui fait le crime, celui-ci est pris dans la loi symbolique que le signifiant institue. L’humain répond de la loi morale qui définit le bien et le mal, et la psychanalyse, à travers la découverte lacanienne, a permis d’identifier un au-delà du bien et du mal : le réel et sa contrainte. Cette contrainte ne dépend d’aucune évidence significative, mais du signifiant, de son incorporation, de la prise ou non qu’il a eu sur le corps. Si parfois les motivations apparaissent comme communément accessibles au sens, le plus souvent il s’agit de crimes incompréhensibles face auxquels l’opinion désemparée ne cesse d’interroger les experts. Le crime relève de la conjoncture précisément parce qu’humain, et pour la même raison, il peut s’imposer comme nécessité quand le sujet n’a pu résister à la contrainte qui le pousse. Une bascule se produit alors au moment où le sujet s’affranchit de la parole, il précipite dans l’acte qui le sépare de l’Autre, devenant lui-même l’instrument de cet acte. C’est dans ce passage que l’on peut saisir en quoi tout crime est suicide du sujet2. Si le passage à l’acte relève de l’instant, même le plus immotivé a des coordonnées signifiantes qui le précèdent, et en constituent la raison. Une logique méconnue devra être retrouvée. Il s’agit moins de demander au criminel la motivation profonde de son acte, ce qui est aujourd’hui recherché, traqué en vain, que de la retrouver dans ce que pourrait être un « dialogue expertal » ou une « clinique de l’expertise ». C’est le sens qu’en donne Lacan dans son écrit « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie ». Cette clinique concourt à définir la notion même de responsabilité, soit le lien du sujet à la contrainte qui le domine. Aussi, c’est affirmer que, en matière de criminalité, la singularité de la jouissance de l’inconscient lacanien conçu comme parlêtre, va au-delà de la psychopathologie.
Dans les textes qui suivent, les auteurs, Guillermina Laferrara, Lucie Kiyambekova, Nelson Hellmanzik3, déplient avec précision et subtilité ces questions où se vérifie l’anticipation de Lacan quant à l’objectivation croissante du sujet qui ne permet pas la finesse du dialogue analytique. Fort heureusement, la psychanalyse d’orientation lacanienne ne rend pas les armes devant les « impasses croissantes de la civilisation4 ».
Francesca Biagi-Chai
[1] Cf. Miller J.-A., « Rien n’est plus humain que le crime », Mental, n°21, septembre 2008, p. 7-13.
[2] Cf. Miller J.-A., « Jacques Lacan : remarques sur son concept de passage à l’acte », Mental, n°17, avril 2006, p. 21.
[3] Ces textes ont été présentés dans le cadre de l’enseignement de Francesca Biagi‑Chai « Le crime à l’ombre du réel » qui a eu lieu au Campus de l’École de la Cause freudienne lors de l’année 2023-2024.
[4] Lacan J., « La Psychanalyse. Raison d’un échec », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 349.