Au moment de constituer le dossier pour cheminer vers les Journées 44, une idée s’est imposée à nous : constituer une galerie. Une association immédiate persista tout au long de la mise en série des tableaux maternels, une idée qui ne nous a pas quittés, mais que nous n’avons pas mise en exergue car elle était en filigrane dans notre réflexion, il s’agit du livre Portrait de femme de Henry James. De toute évidence, ce magnifique ouvrage écrit en 1881 n’est pas le dessin d’une mère… Il s’agit de la tentative d’écrire la complexité d’une femme : Isabelle Archer dont « les profondeurs secrètes de [son] âme étaient un lieu peu fréquenté, dont les communications avec la surface étaient interceptées par des forces multiples et capricieuses »[1].
Un constat simple nous permet de tisser un lien entre Portrait de femme et notre collection de mères: la quantité infinie d’adjectifs utilisés par H. James pour saisir l’insaisissable chez Isabelle : jolie, intéressante, généreuse, étrangère, intelligente, pédante, curieuse, naïve, fraîche, ardente, cruelle… La liste se poursuit. Une longue série de termes qui tente de rendre compte de l’être de cette femme-là. Mais en un instant elle change, se nuance ou s’accentue et parfois se contredit, ce qui fait d’elle une énigme, et d’abord pour elle-même. Plus de six cents pages ne suffisent pas à l’écrivain, si talentueux soit-il, dans l’écriture dudit portrait psychologique pour la dire toute. Il aura toujours une nuance à apporter pour rendre tangible la singularité de femme d’Isabelle Archer dans le rapport amoureux, dans ses confusions et dans sa quête.
Une mère étant une femme, nous pouvons, à l’instar de H. James, noircir des pages et des pages d’adjectifs pour nommer ce qui échappe de l’être mère. Peut-on faire une liste exhaustive des mères ? La nomination d’une mère saisit-elle son être ? Mère angoissée, mère aimante, mère déprimée, mère courageuse, mère envahissante, mère douce, mère bizarre, mère bavarde, mère muette… Pourquoi autant d’adjectifs ? Que viennent-ils nommer ? C’est parce que les mères sont des femmes qu’elles sont à nommer une par une. Autant de noms de mères que de noms de femmes, pas forcément le même, et toujours partiel. Pas de liste exhaustive. Les dires cueillis tant sur le divan que sur la scène du monde en témoignent : « Ah… ma mère… c’est quelque chose ma mère… ». Ce « quelque chose » semble se cristalliser dans l’aperçu d’une contradiction, d’une zone d’ombre… Une « zone peu fréquentée » pour s’exprimer avec les mots de H. James.
Les adjectifs que nous avions épinglés dans lalangue et qui nomment les mille et une mères – pour emprunter un des titres du Blog des Journées – témoignent des différentes manières d’essayer de cerner ce qui échappe de la mère à chaque fois que le sujet essaie de la nommer. La liste des noms des mères est illimitée et le dessin que nous pouvons dépeindre, toujours pas-tout.
Voici la raison pour laquelle Portrait de Femme de H. James a été notre toile de fond. En listant les noms de mère, peut-être avons nous pensé pouvoir réunir la mère et la femme dans un même tableau. Les articles publiés nous ont démontré que chacun des auteurs a épinglé, avec tact, un détail, à la recherche d’un bien-dire sur une mère.
Chaque adjectif accolé au mot « mère » tente de toucher ce qui lui échappe. Voici ce qui donne son caractère infini à cette liste de mères. Car l’une à peine cernée, une autre apparaît avec sa couleur à elle, son style, sa trace particulière ; et parfois est-ce la même. Ce qui nous amène à la conclusion qu’il manquera toujours un portrait et nous pouvons nous demander en empruntant les mots de Ralph intrigué par la présence d’Isabelle : « Qui est cette créature rare ? »[2], « Ralph devait découvrir par lui-même ce qu’il voulait savoir. »[3] …
Ce qui éveille plus encore le désir de s’acheminer au Palais de Congrès les 15 et le 16 novembre.
[1] James H., Portrait de Femme, Paris, 10/18, Éditions Liana Levi,1995, p. 43.
[2] Ibid., p. 52.
[3] Ibid., p. 53.