III – Autorité
Avec indifférence et violence, s’impose un troisième terme, autorité. C’est bien dans le prolongement de Platon qui situe l’autorité dans une oscillation entre deux pôles, argumentation et persuasion à l’un, force et violence à l’autre. Dans ce « mixte » entre persuasion et contrainte, l’autorité se trouve nouée à la domination de « l’élément d’ardeur virile » [1]. Éclatant mirage pour tout ambitieux de ne pas voir, dans la fonction d’autorité qu’on lui tend, l’éventail déplié de ses propres fantasmes ou, encore pire, le piège où s’identifier à la fonction, de se prendre pour l’autorité.
Le père freudien – celui de l’Œdipe –, comme le père lacanien – celui qui unit le désir à la loi – ne sont plus à même de tenir une place. Bafoués, humiliés, délaissés, ils sont impuissants à soutenir une autorité qui permettrait un certain ordre.
L’obscur
De crise en crise, ça dégénère entre les générations et les « grands frères » ont été balayés là où ils avaient, un temps, suppléé l’autorité paternelle quand c’était la tradition qui conférait l’autorité. Exit la tradition, exit ce que le structuralisme permettait encore de se soutenir d’un discours. Hors sujet aussi la religion dans sa forme de recours, nouée au repentir et à la culpabilité. Dans le vide laissé béant, s’est engouffré le fanatisme, la prise en masse d’un endoctrinement radicalisé autour de quelques S1 imposés par la connivence de prêcheurs avec des despotes, des potentats qui mettent en danger le devenir du monde. C’est plus que out, c’est explosé ! Une brèche ouverte à la « monstrueuse capture » pour une offrande au sacrifice « à des dieux obscurs » [2].
Drôle de retour de l’obscur dans une modalité très singulière à notre époque où c’est le dit incantatoire qui supplante le dire oraculaire, lui, porteur d’une vérité possible pour ceux qu’il concerne. Lacan attribue une valeur intrinsèque à la parole, au dit : « Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité. » [3] Une autorité obscure en ce sens qu’elle fait signe, mais qu’elle n’a pas à être justifiée ni à s’expliquer du pourquoi elle est autorité.
La dissidence assumée
Contrôler la parole, valoriser celle du pouvoir, museler celle des opposants, l’user, non au sens de l’utiliser mais de l’usure. Lacan reprend la comparaison que fait Mallarmé entre cette parole et une pièce de monnaie tellement usée que l’avers comme l’envers ne montrent que des figures effacées et que l’on se passe de main en main « en silence » [4]. Effacer la parole des opposants, les réduire au silence, c’est compter sans le fait que le parlêtre ne peut être ainsi écrasé et que, même en silence, la parole se fait entendre : par le corps, par les actes, par la résistance à l’oppresseur. Pour Lacan, « la parole même à l’extrême de son usure, garde sa valeur de tessère » [5], soit sa valeur d’échange.
Éthique de la désobéissance
Le psychanalyste ne fait pas l’impasse sur la responsabilité. Il l’assume par ses actes, aussi bien en opposant un non face à la demande d’un Autre tyran, parfois d’autres pressants ou zélés. Cela pourrait ouvrir à une autorité responsable par choix et non par soumission. Alors, se soutiendrait un certain rapport entre cette autorité et une éthique de la désobéissance.
Guy Briole
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[1] Platon, La République, livre VIII, [traduction Georges Leroux], Paris, Flammarion, 2004, p. 409.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 247.
[3] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 808.
[4] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, op. cit., p. 251.
[5] Ibid.