L’identification contribue à transformer ce qui est de l’extérieur en intérieur. C’est une façon d’aménager l’espace, d’y introduire une certaine vérité qui n’est autre que celle du corps. L’identification participe à la mise en place de lieux, le lieu de « l’un comme tel [devient celui de] l’Autre » [1]. Pour en rendre compte, la topologie, en particulier celle du tore troué, est d’une aide précieuse, en ce qu’elle ne cesse d’interroger ce qui, en matière d’identification, relève de la structure et/ou de la forme.
Pour la psychanalyse, l’identification n’est pas optionnelle, il n’y a pas de sujet non identifié. Pourquoi ? Parce que dès les premiers jours de sa venue au monde le nourrisson se mesure à un insuccès de structure, un échec sans cause, qui, de plus, l’accompagnera sa vie durant, celui d’une perte de ce qui n’a jamais été possédé. Le défaut d’un avoir premier est de règle, indépendamment de tout objet. Pour cette raison, l’identification ne peut être qu’une réponse de second choix, après un premier jamais advenu, second choix qui s’impose sous la forme d’une tyrannie, celle du Qui suis-je ?, comme étant l’âme du sujet cartésien.
Cette tyrannie peut-elle se desserrer ? En d’autres termes, l’identification peut-elle se montrer moins dévorante à l’endroit de l’Un, du trait unaire, et de sa répétition ? C’est à répondre favorablement à cette question que dépend une possible émancipation. Formulée autrement, la question devient : l’identification se cristallise-t-elle inévitablement en une identité, laquelle impose d’être toujours renouvelée et, par conséquent, reconduite ?
L’identité est fragile, foncièrement fragile, la raison tient à ce qu’elle n’est pas performative et reste arrimée au bon vouloir d’un Autre. Le « je suis » de l’identité est un énoncé constatif, une description, qui implique d’être vérifié et donc renvoyé inévitablement à un sujet supposé savoir.
Aux yeux de Lacan la triade freudienne des identifications s’est avérée insuffisante au point de devoir être complétée par une quatrième : l’identification au symptôme. À quelle nécessité répond le rapprochement de l’identification avec la dimension du symptôme ? La question se pose d’autant plus que Freud lui avait réservé une place de choix à travers le scénario du pensionnat gagné par une épidémie symptomatique. Il s’agissait en réalité d’une collectivisation par le symptôme, l’identification portant, elle, sur le désir. La proposition de Lacan est bien différente. Elle permet de penser une identification à un symptôme comme le résultat de ce qui ne peut plus s’analyser, d’un symptôme pris comme Un, et pour lequel il n’y a rien d’autre. De cette façon le symptôme n’est plus traité selon le trait unaire, comme un signifiant où l’Autre se ramasse. C’est par cette voie que peut s’appréhender un passage à la nomination comme quatrième consistance, et une nomination des trois autres, sans qu’intervienne la différence unaire. La question de savoir si cette quatrième identification est exclusive de toute autre, qu’elle engage un effacement de l’identification au trait, reste ouverte.
L’identification au symptôme, c’est-à-dire au quatrième, consiste en un « savoir y faire ». Mais pas de n’importe quelle façon : en « prenant ses garanties », en adoptant une « espèce de distance » [2], précise Lacan. Une identification sous garantie, soucieuse de garder ses distances… est-ce un principe de précaution ? Cette précision invite sans doute à considérer qu’il n’est pas exclu que quelques « lichettes » de jouissance puissent encore adhérer au symptôme, pourtant analysé.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », leçon du 29 novembre 1961, inédit.
[2] « En quoi consiste ce repérage qu’est l’analyse ? Est-ce que ce serait, ou non, s’identifier, tout en prenant ses garanties d’une espèce de distance, à son symptôme ? » (Lacan J. Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre », leçon du 16 novembre 1976, Ornicar ?, n°12/13, décembre 1977, p. 6, nous soulignons).