Avec « La maison du docteur Edwardes », projeté à Nice lors d’une soirée « Psychanalyse et cinéma », Hitchcock signe en 1945 un thriller à la gloire de la psychanalyse, alors en plein essor aux Etats-Unis et déjà ravalée au rang d’un outil performant.
Elle est mise au service d’une enquête conduite par une jeune analyste, Ingrid Bergman, qui se lance dans une recherche très freudienne de la vérité afin de sauver d’une suspicion de meurtre son supposé collègue amnésique, Gregory Peck. L’analyse est menée sur le mode d’une enquête de police idéale où le suspect serait sous le charme de l’enquêteur psy qui doit reconstituer un puzzle. Le titre original du film, Spellbound, pointe l’envoutement de l’analyste mû par un « contre-transfert » incontrôlable et qui joue tantôt de la suggestion autoritaire, tantôt de son affection toute maternelle. Sur les traces de Freud, pour qui dans l’inconscient rien n’est oublié, Hitchcock nous emmène sur la piste d’une trace mnésique indélébile qui conduira au retour du refoulé traumatique.
La figure du psy est mise à mal : se laissant emporter par ses pulsions, il apparaîtrait comme fou, criminel ou aveuglé par l’amour, s’il n’y avait le bon Dr Brulov, caricature de Freud qui incarne la référence paternelle et rappelle que les analystes doivent être analysés. Il brocarde la pente féminine à l’illimité, car si « les femmes sont les meilleures analystes (…) elles deviennent les meilleures patientes » quand elles sont amoureuses ! Pourtant, le film ne se réduit pas à quelques clichés sur l’hystérie, le transfert et la théorie du trauma : il fait le portrait de la femme américaine d’après-guerre qui s’émancipe de la tutelle de ses pairs qui voudraient la ramener dans le droit chemin phallique : brillante et séduisante, elle ne recule pas devant son désir et préfigure les combats féministes à venir.
Au-delà de la quête du sens et d’une vérité ultime, le film d’Hitchcock met en scène la jouissance, sous la forme de l’objet regard, omniprésent : il signe le coup de foudre des amants et anime chaque personnage qui, tour à tour, s’observe dans le miroir, se fait surprendre ou est traqué par le regard de l’Autre.
Le pivot de l’intrigue est un rêve, dont Hitchcock a confié la représentation à Salvador Dali qui a imaginé une succession de décors fantastiques, s’ouvrant sur un chapelet d’yeux peints qui nous dévisagent. Chaque tableau du rêve sera interprété par l’analyste selon une clef des songes.
Le spectateur s’amuse de ce thriller qui se déroule au rythme d’une cure sauvage. Une analyse n’a-t-elle d’ailleurs pas aussi un côté polar, avec son lot d’ombres, de morts (revenants ou rêvés) et un suspens renouvelé à chaque séance ?
Hitchcock construit ce film noir en jouant sur le blanc, un S1 du patient, et la variété de leurs teintes. Il nous attire pas à pas vers un rai de lumière aperçu sous une porte, puis sous une autre, comme autant d’appels du désir à en savoir un peu plus : il suffit de pousser la porte.