Un soir de Noël, rentrant chez lui, le jeune homme fait la rencontre de Reda. L’intention supposée de l’inconnu se dévoile sans attendre : faire l’amour.
La suite est une nuit d’amour qui débouche sur l’inimaginable, un viol et une tentative de meurtre. Reda, suspecté par son hôte d’avoir volé son téléphone, s’en prend violemment à lui. L’auteur pourrait parler de trauma : il choisit plutôt de creuser les failles d’un récit de l’impossible à dire. Il aurait pu se faire auteur-victime, il se fait celui qui, au travers des récits parallèles de l’événement, traque le faux et le mensonge pour sauver un bout de savoir.
Le livre s’ouvre en prenant appui sur la voix d’un autre. Derrière la porte, le jeune homme entend sa sœur qui raconte cette histoire à son mari : « Je suis caché de l’autre côté de la porte, je l’écoute, elle dit que quelques heures après ce que la copie de la plainte que je garde pliée en quatre dans un tiroir appelle la tentative d’homicide, et que je continue d’appeler comme ça, faute d’autre mot, parce qu’il n’y a pas de terme plus approprié à ce qui est arrivé et qu’à cause de ça je traîne la sensation pénible et désagréable qu’aussitôt énoncée, par moi ou par n’importe qui d’autre, mon histoire est falsifiée, je suis sorti de chez moi et j’ai descendu l’escalier. »
L’événement sitôt subi, il faut au jeune homme passer au récit et dire : au corps soignant lorsqu’il vient demander une trithérapie préventive. Au commissariat, où il fait l’expérience d’une parole faussée, car devant passer par les signifiants de ceux chargés d’enregistrer sa plainte. Aux urgences médico-judiciaires où le corps à son tour doit parler, montrer ce qu’il a subi pour que la plainte en mots trouve sa vérification dans la chair. Le récit se fait, se défait et se refait, aux amis, à la famille. C’est l’histoire d’une vérité menteuse : « je sais aujourd’hui que le langage ment ». L’auteur fait l’expérience qu’il est serf du langage (« On dit qu’on ne peut pas sortir du langage, qu’il est le propre de l’être humain, qu’il conditionne tout, qu’il n’y a pas d’ailleurs, d’extérieur du langage »), que celui-ci éloigne le parlêtre de son corps et qu’il est impropre à cerner la vérité.
Le fait brut passant au discours, l’auteur constate que la vérité se dérobe. Il ne se reconnaît plus dans les mots : « je ne reconnaissais plus ce que je disais. Je ne reconnaissais plus mes propres souvenirs quand je les racontais (…). ce que j’aurais voulu dire était perdu (…) la vérité s’éloignait, s’échappait (…) ».
La violence s’efface sous les mots, elle disparaît et au sujet « Il ne (…) reste plus que le langage ». Le sujet vit sa propre expulsion du récit qui passe de bouche en bouche. Dite, l’histoire se détache de son auteur : on en parle plus qu’il ne parle.
Restent des mots, les siens et ceux des autres, qui orchestrent l’effacement de la chose. L’écriture montre la faiblesse même des mots à dire et leur force à effacer ce qui fut vécu dans la chair : « Le langage mange le réel ».
Les propos rapportés et corrigés, les incises et les parenthèses pour rectifier ce que l’auteur entend dire de lui ou s’entend dire des autres, font du texte l’espace confus où un sujet fait exister un fait brut pour se perdre aussitôt derrière les mots dits. L’écriture fait la démonstration de son propre impossible. Cette histoire de la violence est aussi bien celle de l’écriture qui, de dits en écrits, construit une vérité qui ment ou un mensonge qui dit vrai. L’auteur tente de s’orienter dans la confusion des récits pour, avec le langage, cerner un point de réel qui ne cesse pas d’échapper.
« Le langage est un mauvais outil, et c’est bien pour cela que nous n’avons aucune idée du Réel. (…) Ce qu’il y a de plus réel, c’est l’écrit, et l’écrit est confusionnel. » : que par l’écrit on puisse espérer atteindre un bout de réel, reste le pari d’Edouard Louis. Mais il ne peut finalement pas dire la violence. Il peut dire sa mise en récits.