Notre praxis d’analyste nous forme à devenir des détaillants de la clinique. Il y a d’abord le premier temps, celui d’une pratique qui s’appuie sur des classes cliniques à partir du particulier commun à quelques-uns. Un clinicien bien orienté et en analyse pourra rencontrer ensuite le signifiant du manque dans l’Autre, voire son inexistence, moment nécessaire pour une disponibilité au « propre à chacun ». En somme, après la pratique de gros, vient la praxis du détail.
Nous savons que les prétentions universalisantes mues par la volonté d’anéantir la particularité reconstituent des formes de ségrégation. Dans son texte, Raquel da Matta-Beauvais nous présente un roman biographique. Une artiste peintre ayant choisi la vie pour s’arracher d’une destinée familiale funeste espère esquiver la grande hache de l’histoire en s’exilant en France dans les années 1930. Son texte nous montre avec justesse qu’ayant choisi d’échapper à la pure culture de la pulsion de mort familiale, cette artiste sera rattrapée par celle des nazis, exécuteurs d’une féroce logique d’exclusion.
La psychanalyse ne propose pas de dissoudre la particularité, ni d’y adhérer. Sa voie est celle d’un hors la norme. Ariane Fournier prend cette voie pour questionner ce « qui fait le grain de folie de l’expérience inédite de l’analyse », celle-ci faisant place, pour l’analysant, « à ce qui le fait Un-ique ». Le registre du particulier, en effet, ne rend pas compte de l’appareillage de jouissance dans sa différence absolue. C’est là que les analystes s’engagent pour accueillir l’autre dans sa singularité. La fin de son texte ponctue finement sur la position du psychanalyste et la position féminine.
Analyste et analysant sont donc concernés par ce grain de folie. Pour que l’analyste vise au-delà du bien-être, autrement dit qu’il s’oriente de la jouissance, cela suppose qu’il soit lui-même détaché des idéaux, des valeurs héritées. Lacan va faire de cette associabilité un lien social nouveau, en soutenant que « le discours psychanalytique (c’est mon frayage) est justement celui qui peut fonder un lien social nettoyé d’aucune nécessité de groupe » [1]. À cette fin le remaniement, la mutation, parfois même la rupture sont aux principes de cette psychanalyse qui, pour être renouvelée, ne peut pas être assoupie par la théorie prise comme une doxa.
C’est une clinique du signe discret qui trouve aussi son affinité avec la notion de degré, et non plus avec celle de catégorie. Une clinique délicate, de l’intensité, à la recherche de petits indices. L’expérience vise donc le détail, divin à l’occasion, qui indexe l’objet jouissance. Le Champ freudien avec l’orientation lacanienne propose à chacun d’apercevoir ce qui fait à la fois grain de folie, os et signature, à savoir le plus singulier, et d’y prendre appui dans une perspective politique.
Philippe Giovanelli
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[1] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 474.