L’œuvre picturale de Balthazar Klossowski, dit « Balthus », reste encore méconnue du grand public, cataloguée à maintes reprises comme « érotique, voire perverse » en raison de la dureté des scènes, notamment dans la série de portraits de jeunes filles dont on voit le sexe qui dérange tant il est visible. De ces enfants, le peintre dira: « Certains ont voulu voir de l’érotisme… Ce sont des anges! »[1].
Cette vision si particulière de l’enfance ainsi que certains propos tenus par l’artiste comme: « Je voudrais toujours rester un enfant » et « n’avoir jamais cessé de voir les choses telles qu’il les voyait dans son enfance », ainsi que ses nombreuses sources d’inspiration venant de la littérature et l’art, nous ont servi de fil conducteur pour aborder l’œuvre picturale à la lumière de la théorie freudienne sur la création artistique et l’orientation lacanienne sur l’art.
Mais c’est sans doute le « personnage mythique qui incarne l’archétype de ce personnage éternel de la petite fille, Alice », qui a été pour nous le point de départ d’un rapprochement entre Balthus et Lewis Carroll, et qui par ailleurs est amplement expliqué par le fait que Balthus à son tour se retrouve « aux côtés de Carroll et Nabokov, qu’ils soient pervers ou non », comme le souligne Sophie Marret à leur sujet. Le peintre, quant à lui, « est devenu également indissociable de la figure de la petite fille à plusieurs égards » [2].
Photographie d’ Irene McDonald « It won’t come smoooth », 1863, Lewis Caroll / «Alice dans le miroir », Balthus, 1933.
De plus, et c’est notre parti pris, l’œuvre photographique de Lewis Carroll, bien qu’également longtemps méconnue du grand public, aurait, d’après nous, pu marquer l’œuvre picturale de Balthus. En effet, il nous a été possible d’établir pour la première fois un parallèle frappant entre les tableaux de Balthus et l’œuvre photographique de Lewis Carroll, la série d’images de celles qu’il appelait ses « amies enfants » en particulier. De cette série, il y a lieu de distinguer les photos de studio de celles prises en extérieur d’une part, ainsi que d’autre part les photos des petites filles « déshabillées » des photos de « nus » où les fillettes restent, à l’instar de celles des tableaux de Balthus, fixées à jamais et semblent n’avoir que pour seul objectif de conjurer « l’énigme inquiétante de l’enfance qui se métamorphose ». Dans ces portraits, qu’ils soient peints par Balthus ou photographiés par Lewis Carroll, l’évocation de la nymphette réapparaît dans ces corps aux formes esquissées et se dévoile l’équivalence Girl=Phallus, abordée ici et mise en exergue dans les Lolitas de Balthus : figures idéales de l’objet du désir, chrysalides fragiles, « descendantes scandaleuses de la petite fille, modèle carrollien ou doubles cyniques d’Alice ».
Ce texte est extrait de la thèse de doctorat de l’auteur, Érotisme et perversion dans l’œuvre picturale de Balthazar KLOSSOWSKI ou Balthus de l’autre côté du miroir, Étude psychanalytique sur la peinture[3].
[1] BELILOS M., « La cérémonie du thé : rencontre avec Balthus », La Cause Freudienne, N° 46, Navarin, Paris, Octobre 2000, p. 90-92.
[2] Marret-Maleval Sophie, « Les petites filles de l’inconscient au mythe » , Lewis Carroll et les mythologies de l’enfance, (ouvrage collectif) sous la direction de Sophie Marret- Maleval, Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 66.
[3] MUÑOZ – TRUJILLO DE SHIVER Ana-Maria, Doctorat en Théorie Psychanalytique (Université de Paris VIII Saint-Denis en 2014 ) .