Exhibition[1]
Exhiber la jouissance
Dans notre société post-moderne, la libre exhibition de son intimité est devenue une nouvelle manière d’être, un nouveau rapport à l’Autre, à travers notamment des applications telles qu’Instagram, Facebook, Vine ou encore les blogs pro-ana (pro-anorexia) qui tendent vers le pire dans la monstration revendicatrice du corps cadavérique de l’anorexique et la jouissance qui lui est associée.
Jean-Luc Monnier, dans son texte « Exhibition », nous rappelle l’étymologie de ce terme et l’historique de ce signifiant, passant d’un versant « localisé et borné » à celui de « globalisé et illimité ». En quelque sorte le voile est tombé au moment où la toile s’est tissée.
L’auteur nous indique que cet acte d’exhiber son intimité convoque chez l’autre l’un des objets petit a, le regard, l’objet scopique : « “il faut” voir l’invisible ». L’exemple paradigmatique de cette exhibition reste la pornographie qui a envahi internet jusque dans ses profondeurs avec le deep web qui a « la prétention de montrer […] la jouissance ».
Aujourd’hui, avec la force de frappe planétaire de YouTube, une exhibition d’un autre ordre fait son apparition : montrer la pulsion de mort sous son aspect le plus cru à travers des vidéos de décapitation qui font de ces têtes humaines tranchées des trophées phalliques. Couper la tête d’un autre a toujours existé ― l’état français a arrêté de le faire en 1981―, mais l’exhiber au-delà de la place publique à l’échelle mondiale est nouveau et participe à la propagande terroriste orchestrée par Daesh. Ce n’est pas de la pornographie au sens propre du terme, mais l’aspect pulsionnel est lourdement convoqué chez le voyeur qui jouit de voir « cette furor monstrandi […] en essayant de faire surgir le plus réel, le moins standardisable ».
C’est ainsi que le documentaire « Salafistes » vient d’être interdit aux mineurs par la commission de classification, comme pour un film pornographique. Pourquoi ? C’est qu’il n’y a aucun voile, aucun discours qui met en perspective ce que l’on voit, comme c’est souvent le cas dans les documentaires historiques très crus sur la Shoah.
Visionner sans voile et sans discours la jouissance du djihadiste trancheur de tête, ce n’est pas la même chose que de regarder Ned Stark se faire décapiter dans Game of Thrones ou de découvrir stupéfait les têtes coupées de plusieurs de nos personnages préférés dans le dernier volume de la BD The Walking Dead ! Nous sommes protégés par la fiction. Mais sur YouTube, ce qui est exhibé est ce qu’il y a de plus réel dans la jouissance et dans l’exploitation politique des corps, réduits à des pièces détachées sous la forme de déchets.
[1] Monnier J.-L., « Exhibition », Le corps parlant. Sur l’inconscient au XXIe siècle, Scilicet, AMP, Collection rue Huysmans, 2015, p. 125-127.