Ce cas a été présenté à l’occasion du dixième anniversaire du CPCT d’Antibes, dont le thème portait sur la psychose ordinaire à l’adolescence. Jean-Claude Maleval en était l’invité.
Première séance : Adrien parle vite, avec agitation. A 27 ans, il est sans emploi et a interrompu ses études. Vivant en famille, il supporte très mal ses parents « qui reprochent continuellement des choses mais, sans aucune logique, font bien pire. Ils me mettent la pression sur le scolaire depuis toujours. Ils ne me supportent pas, et je ne les supporte pas. D’ailleurs, depuis 2 semaines et une dispute plus forte que d’habitude, je suis chez mes grands ». Il parle de façon précise, très attaché à la logique avec un vocabulaire riche. « Je suis une mitraillette à parole » m’avertit-il. Les propos sont décousus avec des coqs à l’âne et des tournures de phrases alambiquées ou incompréhensibles (« l’objectivité, c’est l’addition des subjectivités »)
Devant cet éparpillement (« mon cerveau marche trop, remplit ma tête avec tous les possibles dans une journée à partir d’échanges chimiques »), je m’intéresse à son quotidien en lui demandant ce qu’il aime dans la vie. Immédiatement, à ma grande surprise, s’ensuit un effondrement, un silence, les yeux embués: « l’identité….qu’est-ce que c’est ? Un numéro de sécu…Quand je me regarde dans la glace quelques fois …je ne me reconnais pas. J’aime ce que j’aime…ce serait stupide de dire que je n’aime pas ce que j’aime ».
Il va pouvoir se ressaisir et me dire que ce qu’il aime par-dessus tout, c’est le jeu de rôle. Il y passe beaucoup de temps.
Fin de première séance.
La suite du traitement au CPCT sera bien sur orientée par cette première séance.
D’abord, devant ces traits maniaques qui l’épuisent et l’empêchent de se concentrer, lui est proposé de rencontrer un médecin pour un éventuel traitement médicamenteux. Ce qu’il fera.
Au CPCT nous éviterons, autant que possible, d’approcher ce qui représente un trou dans le symbolique pour lui : son identité, les femmes qu’il peut aborder par l’intermédiaire d’un écran mais pas dans la réalité, pour éviter que son imaginaire si fécond ne flambe. Ce qu’il nomme de la très moderne formule: « fatal error system, P400 introuvable ».
Il parlera des relations difficiles avec ses parents, de la peur qu’il a toujours éprouvée avec tous ceux qu’il côtoie depuis son enfance, et du manque de logique du monde en général qui le met souvent en colère: « je ne sais pas jouer avec les règles ».
Surtout, il lui sera demandé de m’enseigner sur le jeu de rôle. Il m’expliquera en détail l’histoire du jeu de rôle et l’importante littérature qui y est attachée depuis les années 70. Lui-même a l’ambition de devenir « maitre de jeu », celui qui dirige et scénarise les séances. Adrien m’apprend qu’il travaille depuis quelques temps à une application. Ce sera un jeu de rôle qui pourra se jouer sur smartphone. Pour ce faire, il contacte des amis qu’il a rencontrés grâce à internet qui ont des compétences très ciblées : dessinateur, informaticien, traducteur… Le projet de cette application fait lien social au travers d’internet.
Ses recherches l’amènent sur une annonce pour une école d’informatique très particulière. Pour y entrer, pas besoin de diplôme, mais un test pratique. A l’école, pas de professeurs ni de cours, les élèves travaillent en permanence sur des projets seuls et en groupe, avec auto évaluation permanente. Les élèves peuvent travailler quand ils veulent, l’école est ouverte 24 heures sur 24. En somme tout est fait pour que le savoir ne soit pas donné par l’école, mais que l’école joue un rôle d’incubateur, pour permettre que ce savoir éclose.
Adrien va passer le test et sera admis avec comme projet principal de mettre au point son application.
La fin des séances au CPCT correspond à son départ vers la ville où se trouve cette école. Il pourra y rencontrer un autre analyste et chercher à consolider les premiers appuis trouvés lors de notre rencontre.