La question du fake a émergé avec la première élection de Donald Trump et le fameux : « you are fake news1 » adressé à un journaliste de CNN. Confirmation que nous serions entrés dans l’ère de la post-vérité2.
S1-S2 algorithme de la vérité
La vérité a son « algorithme » : S1-S2, qui peut aussi s’écrire (S1, S2) ou (S1 S2). Tiret, parenthèses ou virgule impliquent une articulation et une rétroaction.
S1, signifiant tout seul comme le 1 l’indique, est séparé de sa signification, mais cela veut dire quelque chose. Il y a donc une dimension d’énigme.
S2, le deux opère une rétroaction qui donne son sens au premier.
Le tiret, la virgule, les parenthèses font valoir l’articulation, le binaire, le couple.
On trouve la logique de cette articulation dans le graphe du désir où se déploie la structure de l’inconscient3, également dans le discours du maître4 où l’articulation est représentée par la flèche. Au premier plan on a S1–>S2 et en dessous (a) // $. Le sens, la vérité est du côté du discours du maître. C’est aussi le discours de l’inconscient freudien : je suis une énigme à moi-même, définition du symptôme, ou du lapsus par exemple, et le pari de Freud c’est que « ça veut dire quelque chose ». Le S2, c’est ce qui de l’inconscient s’interprète et vient rétroactivement donner sens. S1-S2 serait l’algorithme de la psychanalyse s’il était possible qu’il en existât un5.
Le fake, c’est l’opinion de l’autre.
Rétroactivement donner du sens nous oriente quant au fake : c’est un sens qui est rejeté par l’autre. La distinction est dans la qualité du sens produit, le S2 varie. À un S1 donné, S2’, S2’’, S2’’’, S2’’’’… nous pourrions aller à l’infini, tous s’équivalent. Chacun fera son choix. Nous l’avons vu avec la pandémie, les scientifiques comme les « experts » se déchiraient… Se dévoilait alors que la vérité avec un grand L n’existait pas. Le fake c’est la vérité de l’autre qui n’est pas la mienne. C’est un Je de vérité. « Je dis ce que je pense » ou « Je suis ce que je dis »6, posent la vérité en place de certitude, mon je pense comme mon je suis impliquent une opinion qui ne peut être contredite. L’opinion de l’autre est fake. Or, Lacan avait déjà pointé que : « il faudrait s’ouvrir à la dimension de la vérité comme variable, de ce que j’appellerai la varité, avec le é de variété avalé7 ». Mais alors, tout s’équivaudrait ? Vérité menteuse8 et fake, même combat ?
Fake, vérité et hors-sens
La psychanalyse croit à la vérité. Freud a même parlé de l’amour de la vérité. Croire, ce n’est pas être sûr, ce n’est pas la certitude du « je suis » qui vient nier l’inconscient. Croire renvoie à la dignité de l’énigme, fake renvoie à la certitude du Je. La psychanalyse ne se fascine pas sur le S2, elle parie sur le S1. C’est là, dans ce signifiant hors sens que se trouve une jouissance qui itère sans rime ni raison. Mais comment débusquer ce S1 ? C’est un paradoxe : en soutenant l’énigme on permet au sujet d’épuiser toutes les vérités de l’inconscient. Ce travail d’analyse n’est pas sans effets, on l’entend dans les témoignages de passe. Et si Lacan parle de vérités menteuses, c’est uniquement qu’en regard de ce Un fondamental, il n’y a pas de vérité qui tiennent, peut-être juste un nom, dissimulé derrière la matrice de l’objet, le sinthome. Ce point est hors sens : « la jouissance propre au symptôme. Jouissance opaque d’exclure le sens9 ». S1-S2, c’est un des noms du rapport sexuel, ça s’articule, ça fait rapport. Pour aller au-delà, vers le symptôme, le psychanalyste, dans son acte, n’use ni du S1, ni du S2, il fend le tiret entre les deux, il ouvre les parenthèses, il secoue la virgule, bref, il s’oriente du réel du non-rapport sexuel.
Laurent Dupont
[1] Cf. YouTube : « Donald Trump shuts down CNN reporter : “You’re fake news” », disponible sur internet.
[2] Cf. Keyes R., The Post-Thruth Era. Dishonesty and Deception in Contemporary Life, New York, St. Martin’s Press, 2004, et Cf. Alterman E., When Presidents Lie : A History of Official Deception and Its Consequences, New York, Viking, 2004, p. 305.
[3] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998 et Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien, 2013, entre autres.
[4] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991.
[5] Cf. Miller J.-A., « L’algorithme de la psychanalyse », Ornicar ?, n°16, automne 1978, p. 15-21.
[6] Cf. Le cogito proposé par Jacques-Alain Miller.
[7] Lacan J., « Vers un signifiant nouveau », Ornicar ?, n°17-18, printemps 1979, p. 13.
[8] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.
[9] Lacan J., « Joyce le symptôme », Autres écrits, op. cit., p. 570.