Cas clinique présenté à l’occasion des 10 ans du CPCT Aquitaine « La psychanalyse et les nouveaux malaises », le 30 septembre 2017.
Paula veut sortir de l’emprise de son mari dont elle a divorcé il y a 2 ans. « Emprise » c’est son mot. Comment l’entendre ? Est-ce l’emprise de son ex mari qui revient sans cesse se rappeler à elle ? Ou est-ce sa position actuelle qui ne peut se détacher ou faire le deuil de cette relation ?
Paula explique : « Il faut que je comprenne ce qui n’allait pas entre mon mari et moi ! Narcissiste, vous connaissez ? » Silence. « J’ai commencé à comprendre avec un livre. » Elle me le montre : Comment échapper aux manipulateurs …(c’est le titre) Elle en a déduit que son mari est un « pervers manipulateur » c’est sûr… pense-t-elle.
Que cherche-t-elle dans ces livres ? Prélever ce « Narcissiste » est-ce une façon de nommer ce à quoi elle a affaire, en le situant du côté de son ex mari ?
Paula se plaint beaucoup de son mari, tyrannique, encore harcelant, qui l’obligeait à tout gérer, entreprise et enfants, pendant que lui s’adonnait à ses passions. Homme qui l’isolait de tous les amis. Elle constate « Il y a une raison qui fait que je suis restée autant d’années avec lui ».
Oui ! Alors ?
Je souligne ce constat en en faisant une question.
À leurs 20 ans, le couple est arrivé des Etats-Unis en France pour tenter une nouvelle aventure, c’est ce qui plaisait à Paula. Assez rapidement, naissent trois enfants et elle décrit « un manque de place pour ses émotions qu’elle a dû avaler ».
Honte
« J’ai honte »
De quoi ?
« Honte aujourd’hui de ce mariage. J’ai toujours essayé de plaire aux autres pour avoir de l’amour. J’avais peur de mon père, narcissiste, tyran. Un homme froid, qui ne s’intéressait à personne. Dur, coureur de jupes, qui avait toujours raison…ma mère est restée à cause du regard des autres. Mère, froide avec Paula et chérissant son petit frère.
Je relance :
Vous vous demandiez pourquoi vous êtes restée avec votre ex ?
Coincée
« J’étais coincée entre mon fiancé et mes parents ». Un conflit éclate pour leur mariage. Les parents veulent tout organiser et refusent le mariage religieux. Le futur mari trouve une petite église et le mariage a lieu, sans les parents de Paula, qui refusent de venir.
« Je voulais aussi prouver à mes parents que mon mariage durait. J’étais coincée ici, étant alors responsable d’une entreprise que je dirigeais, et aussi pour mes enfants. Alors retourner aux EU sans le soutien de personne… J’étais coincée avec un mari qui m’écrasait. »
Or, un peu après, dans la même séance, arrive un lapsus, que je ne souligne pas Elle dira « je dirige », non, « j’anime » un cours de conversation.
« Coincée, c’est aussi peut- être à cause de mon secret d’enfance ? Petite, j’ai pensé que je dois être gentille pour être aimée. Cet homme était pareil que mes parents, narcissiste…Je me suis trompée avec moi-même. Je comprends intellectuellement, mais je ne trouve pas de compassion pour cette petite fille que j’étais.»
Oh compassion, c’est souffrir avec, ça suffit la souffrance ! Fin de séance
Jalousie
« Ma belle fille, narcissiste, est froide avec moi ».
J’inverse son affirmation :
Vous êtes en froid avec elle ?
Elle est jalouse car je suis proche de mon fils… Comment je peux gérer ma colère ? Comment je peux accepter ma jalousie et ma colère ?
Votre jalousie !
Vous avez l’idée que les gens sont des narcissistes ?
Non. Pas tous.
« ÉTABLIR l’émotion »
Je m’intéresse au carnet ouvert sur ses genoux.
Vous écrivez ?
J’ai noté des choses que j’ai lues : il y a des conséquences d’être élevée par des narcissiques.
Ah bon ? Et lesquelles ?
Trop laisser la place aux autres, pas d’estime de soi, pas d’amies, pas idée de ce qu’on veut dans la vie…
Un destin ?
Quand j’étais petite et pendant mon mariage, je n’avais pas le droit d’avoir mes propres émotions, je les ai avalées. Alors, comment peut- on les identifier, les sortir, avancer ?
Vous le faites ici (je montre aussi le cahier)
Elle revient avec « un cauchemar » où son ex écrivait des lettres pour dénoncer les défauts de Paula. « Le cauchemar, c’est que je ressentais la même humiliation que quand il a réellement envoyé ces lettres. J’étais humiliée, mortifiée, démunie. »
Ces mots là, vous les prélevez dans les livres ?
Non ! Je les ai écrits en anglais. Je n’étais pas en connexion avec mes émotions.
Les livres ne peuvent pas parler à votre place
Je sais que chaque histoire est différente.
Absolument !
L’émotion c’est en anglais. J’écris en anglais ce que j’ai raté, ensuite j’essaie d’établir l’émotion en français.
Ses lectures l’amènent à s’appuyer sur le binaire du tyran et de la victime, ce que j’interroge prudemment :
Beaucoup de livres actuels louent le statut de victime en voulant protéger
Je n’accepte pas que je suis victime. Je ne peux pas rester dans le témoignage des autres. Il y a 2 ans j’ai lu ça, ça m’a rassurée de savoir que je ne suis pas la seule. Je veux avancer dans la vie et profiter de ce qui me reste à vivre. Ça commence à agir. Depuis 2 semaines, je fais des choses que j’aurais refusé de faire.
Paula refuse le signifiant « traduction », elle « établit » son texte et en cela n’est pas prisonnière des signifiants de son époque, mais elle cherche un accord entre les mots du savoir de l’Autre, ceux des livres, et son éprouvé, longtemps « avalé ». Elle construit doucement ainsi sa langue intime. Elle écrit, pas sans dire.
La séance suivante ; « aucune idée de ce que je vais dire »
Formidable !
Paula commence à accepter des invitations d’amies. « J’ai pu repousser au lendemain, sortir de ma rigidité. J’avance et ça me donne confiance »…
Paula se dit « rigide », signifiant qui consonne pour moi avec « dirige », anagramme du précédent.
Vous vous séparez de quelque chose maintenant.
Avant j’avais des idées qu’il fallait que je vous dise, j’étais comme avec une addiction à mon ex mari. Il fallait que je me sépare de mon attitude.
Paula a 70 ans. L’inconscient ne connaît pas d’âge ni les solutions pré-dites « Diriger » sa vie autrement, au sens d’en modifier la direction. En apercevoir cette équivoque demandera un peu plus de temps.
Elle le sait :
Alors qu’elle compare son mari à Messmer, qui pratique l’hypnose sur scène et peut, dit-elle, « endormir et réveiller quelqu’un d’un simple claquement de doigt, comme on siffle un chien », elle en éprouve maintenant de la colère et veut en sortir.
Ça ne va pas se faire d’un claquement de doigt
Éclat de rire. Fin de séance.