Nous publions dans l’Hebdo-Blog l’entretien avec Jean-Philippe TOUSSAINT réalisé par Benoît Marsault le jeudi 8 octobre 2015 à la librairie « La compagnie », à Paris, à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Football »[1], aux éditions de Minuit. J.- P. Toussaint décline sa relation personnelle à la psychanalyse qui l’a marqué depuis son enfance. Il soutient sa position d’écrivain intéressé par l’aspect romanesque de choses du monde où il trouve son équilibre par l’écriture. Il nous conduit au plus proche de ce que la vérité représente pour Lacan, dans sa structure de fiction, car pour l’écrivain ce qui « compte est l’interprétation ».
Benoît Marsault – Avez-vous une expérience, ou quelle idée avez-vous de la psychanalyse ?
Jean-Philippe Toussaint – C’est une question sur laquelle je me suis assez peu interrogé, je n’ai aucune expérience de psychanalyse, je n’ai jamais suivi de psychanalyse, j’ai une culture, je dirais, générale, suffisante pour connaître l’œuvre de Freud, sans du tout être un spécialiste, mais en connaissant, si ce n’est en détail, en percevant bien l’essence de l’œuvre de Freud, grâce à ma mère qui l’a toujours lu et qui elle, a suivi une psychanalyse et qui m’a très vite expliqué des sortes de théorèmes ou d’évidences. Les actes manqués n’avaient aucun secret pour moi à neuf ans, puisque ma mère m’expliquait tout ça, et donc, par l’intermédiaire de ma mère, beaucoup des notions – de Freud essentiellement – me sont familières. Alors ensuite comme tout homme cultivé, j’ai lu quelques textes de Freud. Comme écrivain, le seul texte qui a été vraiment important, c’est Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci parce que ce livre-là – c’est assez drôle car je sors Football maintenant, mais le livre qui s’appelait La mélancolie de Zidane a vraiment été influencé par Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci avec cette idée que Freud invente Léonard de Vinci d’une certaine façon, il le façonne lui-même et peu importe ce que Léonard de Vinci était, a pensé, Freud se l’approprie. Et c’est ce que j’ai fait avec Zidane. Peu importe ce que Zidane a pensé, si vous relisez attentivement La mélancolie de Zidane, je crois qu’il y a une interprétation psychanalytique du geste de Zidane. Alors c’est assez marrant pour moi qui ne suis vraiment pas un spécialiste, je vous invite à lire ou à relire cet ouvrage et à voir qu’il y a, je pense, une vraie intuition de la psychanalyse et que son acte, je l’inscris dans la totalité de sa personnalité.
BM – C’est-à-dire que Léonard de Vinci comme inspiration, dans le texte de Freud, c’est une inspiration dans une sorte de construction logique du cas Zidane, et à la fois parce que c’est faire d’un personnage célèbre un personnage de fiction ?
JPT – Exactement, pour se l’approprier, et à la fois se dire peu importe finalement ce que la réalité du personnage était, ce qui compte, c’est l’interprétation, qui est aussi riche que ce que le pauvre patient a réellement vécu. Alors évidemment pour moi, plus on va vers la fiction, plus ça m’intéresse, et tout ce qui devrait résulter d’une efficacité thérapeutique, moi je m’en fous, mais ce qui m’intéresse, c’est en quoi les intuitions de Freud comme celles de Proust sont valables d’un point de vue romanesque, et non pas qu’elles soient efficientes d’un point de vue pratique ou thérapeutique. C’est comme ça que je l’ai toujours considéré. Pour moi Freud est un grand auteur de fiction ! Au même titre que Proust, pour moi il a inventé quelque chose, et peu importe si ça a à voir avec une certaine réalité, il en a fait un univers cohérent et qui a des résonances avec tout le monde. Alors après, on peut le contester, mais pour moi c’est efficient parce que c’est un ensemble cohérent, mais comme écrivain, pas comme thérapeute.
BM – Vous soutenez-vous d’une certaine logique dans votre rapport à l’écriture ?
JPT – Oui peu importe la vérité historique, ce qui compte c’est l’interprétation. Ça c’est une idée que je défends, je soutiens une position d’écrivain, toujours, il y a des questions de sociologues par exemple, comme au sujet de Football, mais moi je défends toujours strictement une position d’écrivain, littéraire.
BM – Comment travaillez-vous ? Dans un entretien en 2013 pour les 43es Journées de l’École de la Cause freudienne sur le traumatisme, vous évoquiez la structure du rêve, comme une manière de développer votre écriture, de rentrer dans la création littéraire ?
JPT – Oui il existe différentes méthodes, ce sont des choses que j’ai aussi évoquées dans mon livre L’urgence et la patience où je développe très précisément la façon dont j’écris. Et là aussi, vous retrouverez des éléments liés à la psychanalyse, comme le fait que je vois l’écriture comme une façon de descendre en soi-même. Comme quand je décris l’urgence, qui peut être perçue, ou comprise par un regard psychanalytique, j’en suis persuadé.
BM – Il y a aussi dans votre écriture des moments d’essoufflement, des scènes où l’on est emporté par votre langue comme les personnages dans la fuite du casino dans Fuir, ce sont des choses que vous pensez comme écrivain, que vous faites comme ça, pour ça ?
JPT – Absolument. Il y a aussi une recherche d’énergie romanesque qui est très consciente, et ça surtout dans Le cycle de Marie, évidemment beaucoup moins dans les essais, mais dans tout ce qui est fiction il y a cette recherche d’énergie, d’accumuler de l’énergie, et de la faire exister, ça c’est au cœur de ce que je fais.
BM –C’est ça la recherche littéraire précisément ?
JPT – Oui, parce que, évidemment, on a bien compris que les thématiques importent peu, et je dirais même si ce sont des thématiques parfois plus intimes comme dans Le cycle de Marie où j’aborde la question de la rupture amoureuse, quelque chose qui est plus sérieux, plus intime, il n’empêche que c’est quand même l’écriture qui compte, chaque fois que j’écris, ce qui importe, c’est la littérature, et jamais le sujet, jamais ce que je traite, et encore plus manifestement avec un sujet comme Football.
BM – Est-ce que ça vous fait du bien finalement, d’écrire ?
JPT – Mais bien sûr, je n’ai même pas besoin de psychanalyse ! En tout cas ça m’équilibre dans la vie, enfin je trouve mon équilibre par l’écriture, j’ai même constaté que lorsqu’il y avait de longues périodes où je n’écrivais pas, j’étais dans une position d’inconfort psychique pourrait-on dire, où j’aurais peut-être besoin d’une psychanalyse, et en fait il suffit que je me remette à écrire pour que l’équilibre revienne. Les bienfaits qu’une pratique psychanalytique apporterait ou peut apporter, je les trouve à la source, moi-même, avec ma propre recherche littéraire. Même si c’est par d’autres moyens, je n’utilise pas les mêmes moyens.
BM – Et quand vous avez écrit alors il y a un moment où vous avez une conviction que c’est ça, que ça c’est juste ?
JPT – Oui, mais il y a des étapes, c’est rarement du premier coup, je dois beaucoup relire, et puis finalement il arrive un moment où je me dis que c’est ça, c’est comme ça.
BM – Et que dire de ces phrases « coup de poing » que l’on trouve dans votre écriture ?
JPT – Dans Le cycle de Marie, certainement, il y a la violence toujours sous-jacente, présente, prête à exploser et parfois explosant d’ailleurs. Dans mon premier livre, La salle de bain, il y a une scène très violente : le narrateur agresse vraiment physiquement, et, avec l’acide chlorhydrique dans Faire l’amour, la violence n’est pas niée, elle n’est pas sous le tapis, elle resurgit.
BM – Elle devient matière littéraire aussi ?
JPT – Oui, et je m’inspire d’une certaine violence qui est en moi, et que d’une certaine façon, je canalise ; il y a une sorte de catharsis, en l’exprimant par la littérature où elle est aussi violente, en l’exprimant c’est également violent pour moi mais d’une certaine façon, je m’en débarrasse, en en parlant.
[1] Toussaint J.-P., Football, Paris, Les Éditions de Minuit, 2015. NB : les autres ouvrages de J.-P. Toussaint cités sont publiés chez le même éditeur.